Page 37 - L'INFIRMIERE LIBERALE MAGAZINE - EXTRAITS RELOOKAGE
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                (3) Les lycéens protestaient contre
la suppression
des sursis au service militaire, pour études, au-delà de 21 ans.
les syndicats : « Uniquement diri- gés par des hommes, ils ne com- prenaient pas le mouvement. Ils s’opposaient à nous, cherchaient l’affrontement. Dans les mani- festations, il y avait de la tension. Je crois que cette période a formé à  la  lutte  toute  une  génération d’infirmières. » Et son modèle d’organisation en collectif sera repris dans des mouvements sociaux ultérieurs.
Et si c’était à refaire ?
Et aujourd’hui, que reste-t-il de Mai 68 ? Pas grand-chose, si l’on en croit la nouvelle génération. « La révolution de 68, c’est loin pour  moi, déclare Émeline Cir- rode, 28 ans, Idel en Vendée. C’est  la  génération  de  mes parents, ou plutôt de mes grands- parents.  Je  parle  de  révolution parce que c’est comme ça que l’on  nomme  Mai 68  dans  les livres  d’histoire,  mais  ça  ne m’évoque rien de particulier, si ce n’est les droits des femmes, l’avortement. » Quelques années après les événements, le premier choc pétrolier a bouleversé les économies occidentales et la
“crise” est devenu le mot favori des commentateurs politiques et économiques. Il y a bientôt trente ans, la chute du Mur de Berlin, interprétée comme l’échec du socialisme, a libéré le capi- talisme des scrupules sociaux qui pouvaient le poursuivre. Un mouvement social d’envergure est-il encore envisageable ? Selon Lucien Baraza, président de l’URPS (Union régionale des professionnels de santé)-infir- miers Rhône-Alpes-Auvergne, « il faudrait refaire des barricades et que tout le monde descende dans la rue. Beaucoup de choses ne vont pas. En ce qui concerne notre profession, des personnes sont malheureuses, des infir- mières partent au travail la boule au ventre, avec la peur de sur- coter sans s’en apercevoir et d’être “prises” par la Sécu. Dans de nombreuses villes, les infir- mières  sont  embêtées  pour  le stationnement. Mais c’est difficile de  faire  bouger  les  gens.  L’an dernier, j’ai organisé une mani- festation interprofessionnelle à Lyon, place Bellecour, par rapport à la loi Touraine. Il n’y a pas eu
grand-monde.  À  midi,  nous étions 90 personnes... parce qu’il y avait un barbecue. »
Pour Peggy Hallé, Idel à Com- piègne (Aisne), c’est le fonction- nement de notre démocratie qui serait à revoir: «Il faudrait redonner  plus  de  pouvoir  aux urnes, avec davantage de réfé- rendums. Les députés, on a voté pour eux, on leur délègue nos voix, et après, qu’en font-ils ? Il faudrait donner plus de pouvoir au peuple pour les grandes déci- sions qui concernent son avenir. La  société  s’investirait  plus  et serait moins dans la critique... » Émeline Cirrode rêve, pour sa part, d’un changement de regard sur les professionnels de santé : « Les gens ont l’impression que ce que l’on fait est normal, que le  droit  à  la  santé  est  un  dû.  Il faudrait aussi que les conditions d’accueil des patients à l’hôpital s’améliorent, qu’il ne faille pas attendre seize heures pour pas- ser aux urgences et qu’il y ait plus de postes pour nos collègues de l’hôpital. » Un vœu qui faisait partie des revendications des grévistes de 68... E
Paule Gremaud, 42 ans en mai 68, alors infirmière anesthésiste à l’hôpital Saint-Antoine, à Paris. « Ils sont partis comme une flamme, les jeunes »
dossier
    « On m’appelait parfois pour revenir à l’hôpital, où je passais
la nuit. On n’arrêtait pas de travailler, on ne comptait plus
nos heures. Les étudiants et
la police se tabassaient. Des bleus, des plaies : il fallait recoudre, ce n’était pas des choses très graves, mais il fallait être là, pour soigner les blessés. Dans notre service
de chirurgie, personne ne s’est mis en grève, on avait tellement
de travail. À l’hôpital, on pensait que ce qui se passait dehors était une révolution. Il y avait des côtés enthousiasmants, mais aussi
des aspects tristes, voir qu’ils
se bagarraient, on se demandait comment ça allait se terminer.
Il n’y avait plus d’essence
et les pompes funèbres étaient
en grève, nous ne pouvions plus leur confier les patients qui mouraient à l’hôpital. Je me souviens d’être allée à la morgue et voir les copains qui sortaient
les morts, tous les coffres étaient pleins. On ne savait plus où mettre les corps. Si la famille venait, on lui donnait le corps, mais comment allait-elle faire ensuite ? Devrait-elle creuser la tombe ?
On est aussi allé plusieurs fois chercher des malades, à
la Sorbonne, c’était la Cour
des miracles... Tout le monde était là : les enfants, les parents,
tous vivotaient, mangeaient, dormaient, partout dans l’université. Une espèce d’élan
de fous... Pas habillés, pas coiffés, mais c’était la révolution... Il suffit qu’il y en ait eu un à commencer la révolution, et ils sont tous partis comme une flamme, les jeunes. Cela veut bien dire que quelque chose devait changer dans la société. Les parents ont été dépassés. Ils ne voyaient plus leurs enfants, qui dormaient dehors et les traitaient de “vieux schnocks”. S’il y avait eu une entente avec la jeunesse, si les adultes avaient mieux compris
les jeunes, ou avaient su leur parler, les choses se seraient passées autrement... Je crois que maintenant, il y a une plus grande ouverture entre parents et enfants. »
  L’infirmière libérale magazine • n° 347 • Mai 2018 33
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