Page 9 - Histoire de R.pdf
P. 9

Iofa est bien le nom qui est inscrit sur son passeport ainsi que sur certains documents pendant que Rosa, à Paris, se fait toujours appeler Ioffe voire même Joffe et alors que les enfants nés en France le seront sous le nom d’emprunt du père, Somine. Ce qui illustre ainsi le fait que les juifs avaient pris l’habitude en Russie de modifier légèrement les patronymes officiels afin de distraire et perturber les contrôles, se protégeant ainsi mutuellement par exemple contre l’enrôlement forcé des enfants appelés « cantonistes » qui dès l’âge de douze ans devaient rejoindre les rangs de l’armée pour une durée de vingt-cinq ans ! Iofa et Ioffe étant déjà indifféremment utilisés par leur père Kaïkhel, la voyelle terminale étant souvent quasi muette. Ce qui fait aussi que la recherche généalogique sur un patronyme juif-russe se révèle être souvent un casse-tête plein de surprises, d’interrogations et de confusions.
Son dossier de naturalisation note qu’à partir de ce renvoi en 1915 il vivra chez sa sœur, rue de Dantzig.
C’est en lisant cela plus tard que j’ai compris pourquoi mon père m’avait fait découvrir ce quartier certains dimanches des années 1950. D’abord en me faisant visiter, car à cette époque la chose était encore possible, la “Ruche”, ce magnifique vaisseau pour émigrants étrangers sans ressources... pourvu qu’ils soient artistes.
Le pavillon des vins de Gironde conçu par Gustave Eiffel et récupéré après l’Exposition Universelle de 1900 par le sculpteur A. Boucher était devenu à cette époque le refuge d’un grand nombre d’artistes, pour la plupart venus de l’est et pour l’essentiel juifs.
En effet, malgré l’affaire Dreyfus, la France était restée aussi pour les artistes juifs, le pays de la justice.
« Heureux comme Dieu en France » disaient-ils, en fuyant l’ancestral antisémitisme !
Car dans leurs différentes contrées, l’accès tant dans les universités que les écoles d’art rendu très difficile en raison d’un sévère numerus clausus, il y avait beaucoup d’appelés et très peu d’élus.
C’est ainsi que la Ruche a vu passer tous les noms qui feront l’histoire de l’art moderne. C’est aussi là que j’ai entendu pour la première fois le nom de Marc Chagall qu’Evel disait avoir côtoyé avec Ilya. Ce dernier s’abritait-il aussi à la Ruche où logea Chagall de 1910 à 1914 ou bien alors dans les rues avoisinantes ? La rue
de Dantzig n’est en effet qu’à deux pas !
Autour d’Epstein, debout à gauche et Krémègne à la Ruche, groupe d’artistes en 1914, Lichtenstein, Sternberg, Braser, Fantauzzo et des inconnus.
Collection Shapiro. Archives Jeanne Warnod.
La Ruche, passage Dantzig, point de rencontre des peintres et sculpteurs qui allaient marquer l’histoire de l’art du siècle
8


































































































   7   8   9   10   11