Page 5 - La nation PDF 21-04-2019
P. 5
\Ä °àt|à âÇx yÉ|á bÜtÇ Dimanche 21 Avril 2019
5
(PARTIE 5)
70e anniversaire de l’attaque de la poste centrale d’Oran
L’histoire d’une plaque commémorative
TÉMOIGNAGE DE BELHADJ BOUCHAÏB , MEMBRE
DU GROUPE DE L’ATTAQUE DE LA POSTE
Lors d’un entretien, accordé à Rouina Karim et Boukorra Boucif, co‐auteurs de « Itinéraire de Belhadj Bouchaïb, militant nationaliste
activiste (1937‐1965) », l’intéressé (Bouchaïb) avait relaté l’histoire de l’attaque de la poste d’Oran.
M.H anglais. Le chauffeur le lui remet- arme, comme tous les maquisards
l y a eu deux opérations. La pre- tra. Pour le déchiffrer, il mettra du recherchés. D’ailleurs tout recher-
mière échoua en début d’exé- temps. Vous en profiterez pour ché refuse de se déplacer s’il n’est
Icution, la seconde réussit. Les entrer. pas armé.
deux opérations se situent à un De ce jour, et pendant un mois, je Manque de voiture. Le jour est
mois d’intervalle avec deux fais le guêt. Chaque matin, je des- fixé au 2 mars 1949. La veille, Khi-
groupes différents. cends à pied de Gambetta. der Mohamed et moi allions au ci-
Au début de l’année1949, Ben Je m’installe sur un banc de la néma le Rio. A la sortie, vers onze
Bella me demande de prendre place de la Bastille. Je vois le curé heures du soir, nous prenons un
contact avec quelqu’un. Par la sonner la cloche de l’église du taxi.
suite, Hammou Boutlelis m’in- Saint Esprit. Les premiers fidèles Dans une ruelle du faubourg Eck-
dique le lieu du rendez-vous. Ar- entrent prier. Les garçons des cafés mühl, je lui demande d’arrêter.
rivé au Petit-Vichy, je rencontre Aït « l’Aiglon » et « le Vallauris » s’af- Aussitôt, j’assomme le chauffeur
Ahmed, dont je connus le nom fairent à disposer les tables, net- avec mon colt 45 que j’ai récupéré
bien après, et lui communique le toient les comptoirs et reçoivent la veille.
mot de passe. Je ne sais rien de ce les croissants chauds. Les premiers Khider Mohamed prend le volant, prends l’entière responsabilité. Ahmed voit le médecin. Je ne sais
qui va se passer. clients arrivent. De leurs tasses de je mets le canon sur la tempe du Le soir je rentre à Oran, je repère comment il s’y prend mais il dé-
Nous marchons côte à côte discu- café s’élèvent des volutes de chauffeur de taxi et lui dis : une traction flambant neuf d’un cide le médecin à venir ausculter
tant de tout et de rien. La grande fumée. t-Tu bouges, je te descends. médecin installé dans la rue Al- sur place le malade.
poste se dresse devant nous. Toutes les allées et venues me Nous continuons jusqu’à un pont sace- Lorraine. J’explique à Aït A la tombée du jour, Aït Ahmed ra-
Nous entrons. Aït Ahmed, du re- sont familières. menant vers la forêt de M’Sila, à Ahmed ma démarche : mène le médecin au refuge de
gard, m’indique la caisse et me A sept heures précises, un car de vingt kilomètre d’Oran. Près des t-Puisque personne n’est au cou- Gambetta. Dès qu’il descend, je le
dit : l’aviation se gare près du trottoir bidons d’essence nous attend un rant, on opère de la même façon frappe à la nuque. Il s’affaisse.
t-Vois-tu là-bas. Chaque mois de la poste. Dix minutes plus tard, gars de l’organisation. que pour le premier coup » Nous le chargeons dans la voi-
tout l’argent du département y il repart. Cinq minutes passent, et Nous passons la nuit dans les Débrouille-toi, me dit-il . Je lui ré- ture. Khider Mohamed et moi par-
est déposé. On a pour mission de nous devons opérer. fourrés. Au petit jour, nous faisons ponds : tons. Aït Ahmed nous quitte. Aux
le prendre. Qu’est-ce que tu en Les préparatifs, pour réunir les le plein. L’agent doit surveiller le t- D’accord, je me débrouille falaises de Gambetta, nous atta-
penses ? hommes, vont bon train. chauffeur de taxi, soigneusement mais c’est toi qui ramène le mé- chons le médecin et le remettons
t- Je lui réponds : C’est pour cela Ben Bella ramène cinq gars dont ligoté auparavant. Khider prend le decin . à l’agent de surveillance Benaoum.
que je suis entré au parti. des Kabyles recherchés. En ca- volant, en complet et chapeau Il me dit : Je lui précise :
Fixé, il continue : goule, il fait un speach et repart. mou, je m’assois derrière. Nous fai- t- T’occupe pas. J’en fais mon af- « Ecoute bien. Ne le lâche pas des
t- Tu vois la troisième porte. Tu Quelques jours passent, Hammou sons figure d’Européens. Tout va faire. yeux. Surtout ne te laisse pas at-
entres. Il n’y a rien. C’est là que tu Boutlelis m’envoie à Alger en me pour le mieux, lorsqu’en démarrant Fellouh Mohamed, deux jours avant tendrir. Après huit heures du matin,
dois prendre l’argent avant huit disant : Khider serre les dents. Le taxi trem- la seconde opération, a littéralement tu pourras l’abandonner ».
heures du matin. Les deux « Près du marché de la Lyre, un ble de toutes parts. disparu de la circulation. L’agent qui L’histoire est passionnante :
femmes de ménage ne font pas café fait coin. Tu y rencontreras t-Ça va mal. C’est foutu, je crois, surveillait le chauffeur de taxi ne « Puis, la voiture démarre. La nuit
attention. Quant au téléphoniste, quelqu’un que tu reconnaîtras ». me dit Khider. donne plus signe de vie. Plus jamais sera longue. Autant faire un tour.
il est seul. Effectivement, je le reconnais im- t-Faisons un tour voir, lui on ne retrouvera sa trace. Nous nous engageons sur l’avenue
Avant de nous quitter, il me de- médiatement. C’est Yousfi Mo- conseillé-je. Je préfère changer les deux maqui- qui longe le cimetière européen
mande de lui préparer le scénario hammed, délégué du P.P.A. en Nous passons par la poste. Cha- sards kabyles. Gens de campagne, Tamashouët. Un barrage de gen-
et ce dont j’ai besoin. Oranie en 1945. Autour d’une cun est à son poste. L’itinéraire de leur allure les trahirait. darmerie bloque la circulation.
t-Il me faut une voiture. tasse de thé, il me communique l’opération effectué, Khider m’as- La veille du second coup manque Assis à l’arrière, j’enfonce le cha-
t-La voiture tu te débrouilles, ré- les instructions. sure : toujours un homme. peau mou, boutonne mon trench-
torque-t-il Près de l’hôpital Maillot à Bab El t- L’auto ne tiendra pas . Je vais à Aïn Témouchent. Dans coat et serre bien contre mes
t-Quoi, il n’y a pas de voiture, Oued, je rencontre un gars. Le mot Je descends, et il part la balancer une boucherie, j’appelle le garçon jambes la mitraillette. A la vue du
m’étonné-je de passe échangé, il me donne un dans un coin. Je vais voir les gars t– boucher. Je lui explique que j’ai caducée, ils nous saluent et nous
t-Non rendez-vous le soir à 8 heures. Je et leur dis : besoin de lui sur-le-champ. ouvrent le chemin.
t-Et le chauffeur, m’inquiété-je ne l’ai jamais vu auparavant. Le t-Autant pour les crosses, il n’y a Sans demander de plus amples infor- Nous nous rendons directement au
t-Non plus soir, nous prenons le train sur rien. mations, il remet son tablier à son pa- même lieu près du pont menant à la
t-Bien ! Nous entrerons à trois Oran. il s’appelle Khider Mohamed. Pour ne pas être reconnu, le lende- tron et me suit. Il s’agit de Bouyaya forêt de M’sila sur le piémont du
dans la poste. L’un braquera, et Après un court entretien, je com- main je m’habille comme le menu Mohamed, membre de la paramilitaire. Murdjadjo. Tôt le matin nous des-
deux amasseront l’argent. A l’ex- prends qu’il sera le chauffeur. peuple en bleu de travail et ché- Khider Mohamed est rappelé d’Alger cendons. Inspection faite, les gars
térieur, le chauffeur attendra au Ce premier coup réunit Khider Mo- chia. pour le deuxième coup. sont en place. Nous empruntons le
volant et deux surveilleront de hamed, Fellouh Mohamed, Liour- Trois jours passent quand Ham- Nous répétons le scénario avec boulevard Georges Clémenceau, la
chaque côté, mine de rien. guioui Mohamed, Souidani mou Boutlelis vient me demander Bouyaya Mohamed, Khider Moha- rampe Vales, aux usines Bastos nous
t-T’as des hommes pour ça, me Boudjemâa, deux autres gars et d’aller d’urgence à Alger. A la gare med, Liourguioui Mohamed, Had- bifurquons à gauche et remontons
demande Aït Ahmed moi. Nous tenons des réunions d’El Harrach, banlieue d’Alger, je dad Omar qui est caché chez un par les Bas-Quartiers.
t-Moi, je ne connais personne. pour préciser le rôle de chacun. Les rencontre Ben Bella venu m’atten- boulanger au faubourg des Plan- Tout est calme, Khider Mohamed
En sortant, je lui rappelle ce qu’il deux gars qui surveilleront dehors dre en voiture Ford. Il cherche visi- teurs d’Oran, Souidani Boudjemaâ gare la voiture au flanc de la poste.
compte faire du téléphoniste. auront deux colts 45 et un P 38. blement des explications. Je lui et moi. Aït Ahmed revoit le scéna- Et il part remettre le télégramme,
t-Je m’en occupe, me dit-il. J’ai, quant à moi, une mitraillette. explique : rio la veille. Il supervise comme rédigé en anglais la veille par Aït
Et il poursuit : Ce sont des armes qui nous ont t-Le chauffeur ne pouvait garan- pour le premier coup. Hammou Ahmed. L’employé s’occupe à dé-
t-Je vais rédiger pour une so- été ramenées par l’organisation. tir la bonne tenue de le voiture. Boutlelis nous remet les armes. chiffrer le message.
ciété étrangère un télégramme en Les deux gars ont toujours une J’ai préféré éviter un fiasco. J’en Au matin précédant le hold-up, Aït …à suivre