Page 53 - MAGAZINE-GRIFF-Hivers2019-30
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Dis-moi comment tu noues ta cravate, je te dirai qui tu es
« Dis-moi comment tu noues ta cravate, je te dirai qui tu es
- voire qui tu hantes [...] En gros, j’ai constaté que les timides ont les nœuds bien serrés et, dans notre milieu, nous les appelons les suicidés. Quant aux brutes
- que nous appelons les macros -, ils ressemblent à des pendus avec leur nœud près de la gorge pendant que les prétentieux gon ent exagérément le leur. Ils méritent le surnom de couvercle de marmite puisqu’ils croient dur comme fer que le meilleur est toujours à l’extérieur et non à l’intérieur.
Ceux que nous quali ons de taureaux sans allure sont désordonnés, ont des nœuds en dos d’âne, ne s’en rendent même pas compte jusqu’au jour où, désespérée, leur amoureuse leur fait la remarque.
Les austères et les méticuleux
- ou prêtres dans notre langage
- se soucient sans cesse que leur cravate ne bouge pas. Ils sont capables de passer une journée
à rajuster leur nœud. Les bavards - ou les moineaux - ont leur nœud desserré.
Les cocus - ou les cuits - ont le leur à côté, parfois à l’envers. En n, les égoïstes, les pingres, les ingrats, autrement dit les fourmis, eux, ils ne changent pas de nœud jusqu’à l’usure de la cravate. Ils n’ont jamais appris comment la nouer, ils font con ance aux vendeurs, ne délient jamais le nœud que ceux-ci ont réalisé dans le magasin devant la caisse. »
La culture locale de la sape se voyait par ce roman consacrée, en devenant sujet et objet de pure littérature.
Ecrivain médiatique, hyperactif, Alain Mabanckou est sur tous les fronts. Coqueluche des radios et télés, il ne boude ni les honneurs ni les reconnaissances. Très actif sur les réseaux sociaux, il est
aussi de tous les salons littéraires, enseigne, donne régulièrement des conférences et signe des articles dans les journaux. Il s’est même lancé dans la production musicale en créant le groupe Black Bazar et, guitariste à ses heures, a composé les paroles de différentes compositions.
Il passe plusieurs mois par an à voyager, notamment entre Los Angeles où il vit, Château Rouge au nord de Paris et son Congo natal. Mais où qu’il soit, sa raison de vivre reste l’écriture.
En célébrant la noblesse du peuple noir, en magni ant le coin de terre qui l’a vu naître,
si bien que nul désormais ne pourra plus le voir qu’à travers ses yeux, Mabanckou œuvre à décomplexer et à émanciper les peuples africains. De Pointe- Noire au Collège de France, cet écrivain au destin à nul autre pareil émerge comme un repère déterminant de la reconnaissance de l’Afrique dans l’histoire universelle des lettres.
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