Page 29 - New Title
P. 29

RÉGION                                                         mardi 20 juin 2017
                                                                                                                                                 midilibre.fr



           P r i s o n : s ’ é v a d e r p a r l e t r a v a i l









           Carcassonne. Distribuer les repas, faire la cuisine : certains détenus bénéficient d’un régime plus favorable en détention.

                   n se sent presque
                   dehors. » Sous une
                   fenêtre à barreaux,
           OJulien émince des
           légumes dans la cuisine de la
           prison de Carcassonne. Il fait
           partie des « auxis », ces déte-
           nus qui travaillent pour
           l’administration pénitentiaire,
           notamment dans le but
           d’obtenir des remises de
           peine.
           Dans cette maison d’arrêt, où
           vivent 122 prévenus et con-
           damnés (pour 64 places),
           9 détenus sont affectés au
           « service général » : buanderie,
           ménage, cuisine, distribution
           des repas, maintenance.
           Installés dans un quartier spé-
           cifique au rez-de-chaussée, ils
           ont « porté ouverte » dans la
           journée, reçoivent une petite
           rémunération et peuvent obte-
           nir, sous conditions, trois mois
           de remise de peine par an.
           « On se sent utiles, on se sent
           même presque dehors, pres-
           que à l’extérieur, quand on
           travaille ici », affirme Julien,
           35 ans, dans le vacarme des
           ustensiles. En détention, « on
           est enfermés 22 h sur 24 »  ■ À la maison d’arrêt de Carcassonne, on compte neuf auxiliaires pour 123 prévenus.                                                AFP
           donc « forcément, c’est un peu  pas la même (quand on est)  reconnaît Clémence Rullier,  prison du département de  tration pénitentiaire (Enap)
           plus long, le temps passe tout  enfermé en permanence et  conseillère pénitentiaire  l’Aude, qui se dresse depuis  d’Agen. « Pour les détenus, ils CHIFFRES
           doucement ».               (qu’on ne sort que) deux heu-  d’insertion et de probation, qui  1 898 dans le centre-ville face  font des tâches parfois ingra-
                                      res et demi par jour dans la  suit des détenus à Carcas-  à la célèbre Cité, huit autres  tes, le fait qu’ils aient une cer- Des maisons
           Indemniser les parties     cour », estime-t-il au milieu de  sonne. Mais quand ils en ont  détenus travaillent pour une  taine liberté, ça peut laisser  d’arrêt toujours
           civiles et cantiner        son atelier empli d’objets abi-  un, « ça les maintient dans  imprimerie et 18 places de for-  place à une suspicion ».
           Avec ses 330€ par mois, il peut  més et d’outils. Il envoie « la  une dynamique d’activité » et  mation existent.  Il peut y avoir « de la jalousie » surpeuplées
           «indemniser les parties civi-  plupart » de ses 317 € men-  ça « leur permet certainement  Difficile de savoir ce que pen-  et « des pressions » pour faire
           les » et « cantiner » pour se  suels à sa compagne et à son  plus facilement de se réadap-  sent les autres détenus des  circuler des objets interdits  Les maisons d’arrêt d’Occitanie
           payer « un petit confort » en  « gosse de dixmois », et comp-  ter à l’extérieur».  « auxis », mais ceux-ci assu-  dans la prison - téléphone, stu-  sont toujours largement
           cellule : « plaque de cuisine,  te reprendre son garage en sor-                   rent ne pas être des « loups  péfiants, courriers... - observent  surpeuplées, alors que le
           ventilateur, bouilloire », énu-  tant de prison.       L’autorisation du juge     noirs ». « En tant qu’auxis, on  les premiers surveillants, dans  nombre de détenus en France
           mère cet ancien chauffeur rou-  Ils font partie de ces quelque  d’instruction     est enviés par certains déte-  leur bureau près des cellules.  continue à frôler des records
           tier et ex-DJ, écroué depuis un  10 000 « auxis » employés par  « Tout détenu peut demander  nus, c’est sûr que les places  « C’est d’autant plus difficile  historiques.
           an et demi.                l’administration pénitentiaire,  à travailler », précise Olivier  sont chères, comme on dit.  de les choisir, ces gars-là »,  Selon les statistiques établies au
           Quelques portes à verrous plus  dont les conditions de travail  Vilmart, chef d’établissement.  Mais après, on est quand  ajoutent ces gradés qui souhai-  1 juin par l’administration
                                                                                                                                                    er
           loin, Thierry, 51 ans, travaille  font l’objet de critiques.  Pour les prévenus, il faut  même bien respectés », estime  tent rester anonymes.  pénitentiaire, on compte
           depuis décembre comme      Dans un avis de février, le Con-  « l’autorisation du juge d’ins-  Julien.        “Si l’un d’entre eux est « attra-  actuellement 69 502 détenus, un
           « auxi travaux », après un an  trôleur général des prisons  truction ». Ensuite, « ils sont  L’« auxi » a « un peu le cul  pé à trafiquer », « c’est sans  chiffre en très légère baisse par
           de détention. C’est lui qu’on  avait jugé « largement insuf-  choisis par rapport à leurs  entre deux chaises », entre les  pardon. On déclasse immé-  rapport au niveau inégalé atteint
           appelle « quand il faut répa-  fisantes » la « qualité de l’offre  compétences » ; si « le détenu  détenus et les surveillants,  diatement ». A tout moment,  en avril, avec 70 230 détenus.
           rer une télé, quand les siphons  et la diversité du travail ». « Il  est indigent ou pas, son com-  estime Jean-François Alonzo,  une commission pluridiscipli-  En Occitanie, on dénombre
           sont bouchés », résume-t-il.  n’y a pas beaucoup de travail,  portement...».      chargé de cours d’histoire à  naire unique (CPU) peut rele-  5 776 personnes incarcérées,
           « La vision de la prison n’est  surtout en maison d’arrêt »,  Dans les coursives de la seule  l’École nationale de l’adminis-  ver l’«auxi » de ses tâches.  dont 1 584 en maison centrale,
                                                                                                                                                   qui purgent des longues peines,
           ANALYSE      La précarité de leur statut est critiquée par le Contrôleur des lieux de privation de liberté                              et 4 192 en maison d’arrêt, que
                                                                                                                                                   ce soit en détention provisoire
           10 000 auxiliaires travaillent sans contrat pour un tiers du Smic                                                                       ou en exécution de courtes
                                                                                                                                                   peines.
                                                                                                                                                   Dans notre région, la prison de
           Les prisons françaises comp-  mois à avoir été « classés »,                                                  conférence en droit public à  Nîmes est toujours totalement
           tent un peu moins de       c’est-à-dire associés à un de                                                     Toulouse 1 Capitole. Avant,  dans le rouge : 446 détenus,
           10 000 auxiliaires, ces déte-  ces postes.                                                                   « la question ne se posait  pour 200 places officielles, soit
           nus qui travaillent pour   Les auxiliaires sont alors                                                        pas, ça faisait partie de la  une surpopulation de 223 %.
           l’administration pénitentiaire.  rémunérés en fonction de                                                    condition carcérale, le déte-  À Perpignan, on compte
           Leurs conditions de travail,  trois classes, qui dépendent                                                   nu devait remplir une sorte  393détenus pour 196 places
           comme celles des autres    de la technicité du travail et                                                    de travail d’intérêt général  (200 %), et Carcassonne est à
           détenus employés en prison,  de leurs compétences : la                                                       en purgeant sa peine ».    185 % d’occupation. Les deux
           sont l’objet de régulières con-  classe I avec un plancher de                                                Sur le plan du droit, « on ne  plus grosses maisons d’arrêt de
           troverses.                 33 % du smic, la classe II à                                                      parle toujours pas de      la région, celles de Villeneuve-
           Trois types de travail existent  25 % et la classe III à 20 % du                                             salaire, parce qu’il n’y a pas  lès-Maguelone, près de
           en prison : la régie indus-  smic.                                                                           de contrat de travail en pri-  Montpellier, et celle de
           trielle des établissements  Début février, le Contrôleur                                                     son ». Pour combler ce « vide  Toulouse Seysses, prévues pour
           pénitentiaires, associée à des  général des lieux de privation                                               juridique », une nouvelle loi  accueillir environ 600détenus,
           contrats publics (1,4 % de la  de liberté (CGLPL) a rédigé                                                   en 2009 a créé « l’acte d’enga-  en hébergent chacune plus de
           population détenue), les con-  un avis, sur la base d’enquê-                                                 gement » qui fixe certaines  900.
           cessions de main-d’œuvre   tes notamment dans les éta-                                                       conditions entre le chef d’éta-  En revanche, les maisons
           pénale, qui lient un établisse-  blissements d’Oermingen,                                                    blissement et le détenu.   centrales réservées aux longues
           ment avec des entreprises  Val-de-Reuil et Poissy.     ■ Le travail obligatoire en prison a été supprimé en 1987. AFP  « Cela commence à poser  peines sont toutes actuellement
           privées (13,3 %), et le service  « Tant l’encadrement juri-                                                  question sur le plan du    en deçà de leurs capacité
           général des auxiliaires    dique que les conditions    vail et de la formation en  coordinatrice interrégionale  droit, et de plus en plus de  maximale.
           (13,5 %), selon l’administra-  matérielles du travail en  détention sont largement  sud-ouest à l’Observatoire  détenus font des recours »,  De même, les centres de semi-
           tion pénitentiaire.        détention ne sont pas respec-  insuffisantes », a écrit la  international des prisons  précise M Schmitz.    liberté de Villeneuve-lès-
                                                                                                                                 me
           Le service général corres-  tueux des droits fondamen-  CGLPL, jugeant « nécessaire  (OIP), qui dénonce une  En septembre 2015, le Con-  Maguelone et de Toulouse
           pond à des travaux d’entre-  taux des personnes », selon  à la fois d’encadrer juridi-  « rémunération inaccepta-  seil constitutionnel avait jugé  Seysses, censés favoriser la
           tien, des tâches liées au fonc-  cet avis.             quement et de revaloriser le  ble » et des « listes d’attente  conforme au droit la législa-  réinsertion en permettant à des
           tionnement courant de l’éta-  « Au regard des enjeux   travail en détention ».    interminables ».           tion actuelle, qu’un détenu  détenus de travailler dans la
           blissement pénitentiaire :  essentiels qu’elles représen-  « En règle générale, le pro-  Le travail n’est plus « obliga-  avait contestée, réclamant  semaine, et d’être détenus le soir
           ménage, buanderie, cuisine,  tent, notamment en termes  blème, c’est qu’il n’y a pas de  toire » depuis « la grande loi  une nouvelle loi, avec l’appui  ou pendant les week-ends, sont
           manutention. En 2016, ils  de réinsertion, la qualité de  droit du travail en prison »,  pénitentiaire de 1987 », pré-  de 375 universitaires et d’une  plutôt sous-employés.
           étaient environ 10 000 par  l’offre et la diversité du tra-  regrette Manon Cligman,  cise Julia Schmitz, maître de  vingtaine d’associations.   FRANÇOIS BARRÈRE
   24   25   26   27   28   29   30   31   32   33   34