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RÉGION mardi 20 juin 2017
midilibre.fr
P r i s o n : s ’ é v a d e r p a r l e t r a v a i l
Carcassonne. Distribuer les repas, faire la cuisine : certains détenus bénéficient d’un régime plus favorable en détention.
n se sent presque
dehors. » Sous une
fenêtre à barreaux,
OJulien émince des
légumes dans la cuisine de la
prison de Carcassonne. Il fait
partie des « auxis », ces déte-
nus qui travaillent pour
l’administration pénitentiaire,
notamment dans le but
d’obtenir des remises de
peine.
Dans cette maison d’arrêt, où
vivent 122 prévenus et con-
damnés (pour 64 places),
9 détenus sont affectés au
« service général » : buanderie,
ménage, cuisine, distribution
des repas, maintenance.
Installés dans un quartier spé-
cifique au rez-de-chaussée, ils
ont « porté ouverte » dans la
journée, reçoivent une petite
rémunération et peuvent obte-
nir, sous conditions, trois mois
de remise de peine par an.
« On se sent utiles, on se sent
même presque dehors, pres-
que à l’extérieur, quand on
travaille ici », affirme Julien,
35 ans, dans le vacarme des
ustensiles. En détention, « on
est enfermés 22 h sur 24 » ■ À la maison d’arrêt de Carcassonne, on compte neuf auxiliaires pour 123 prévenus. AFP
donc « forcément, c’est un peu pas la même (quand on est) reconnaît Clémence Rullier, prison du département de tration pénitentiaire (Enap)
plus long, le temps passe tout enfermé en permanence et conseillère pénitentiaire l’Aude, qui se dresse depuis d’Agen. « Pour les détenus, ils CHIFFRES
doucement ». (qu’on ne sort que) deux heu- d’insertion et de probation, qui 1 898 dans le centre-ville face font des tâches parfois ingra-
res et demi par jour dans la suit des détenus à Carcas- à la célèbre Cité, huit autres tes, le fait qu’ils aient une cer- Des maisons
Indemniser les parties cour », estime-t-il au milieu de sonne. Mais quand ils en ont détenus travaillent pour une taine liberté, ça peut laisser d’arrêt toujours
civiles et cantiner son atelier empli d’objets abi- un, « ça les maintient dans imprimerie et 18 places de for- place à une suspicion ».
Avec ses 330€ par mois, il peut més et d’outils. Il envoie « la une dynamique d’activité » et mation existent. Il peut y avoir « de la jalousie » surpeuplées
«indemniser les parties civi- plupart » de ses 317 € men- ça « leur permet certainement Difficile de savoir ce que pen- et « des pressions » pour faire
les » et « cantiner » pour se suels à sa compagne et à son plus facilement de se réadap- sent les autres détenus des circuler des objets interdits Les maisons d’arrêt d’Occitanie
payer « un petit confort » en « gosse de dixmois », et comp- ter à l’extérieur». « auxis », mais ceux-ci assu- dans la prison - téléphone, stu- sont toujours largement
cellule : « plaque de cuisine, te reprendre son garage en sor- rent ne pas être des « loups péfiants, courriers... - observent surpeuplées, alors que le
ventilateur, bouilloire », énu- tant de prison. L’autorisation du juge noirs ». « En tant qu’auxis, on les premiers surveillants, dans nombre de détenus en France
mère cet ancien chauffeur rou- Ils font partie de ces quelque d’instruction est enviés par certains déte- leur bureau près des cellules. continue à frôler des records
tier et ex-DJ, écroué depuis un 10 000 « auxis » employés par « Tout détenu peut demander nus, c’est sûr que les places « C’est d’autant plus difficile historiques.
an et demi. l’administration pénitentiaire, à travailler », précise Olivier sont chères, comme on dit. de les choisir, ces gars-là », Selon les statistiques établies au
Quelques portes à verrous plus dont les conditions de travail Vilmart, chef d’établissement. Mais après, on est quand ajoutent ces gradés qui souhai- 1 juin par l’administration
er
loin, Thierry, 51 ans, travaille font l’objet de critiques. Pour les prévenus, il faut même bien respectés », estime tent rester anonymes. pénitentiaire, on compte
depuis décembre comme Dans un avis de février, le Con- « l’autorisation du juge d’ins- Julien. “Si l’un d’entre eux est « attra- actuellement 69 502 détenus, un
« auxi travaux », après un an trôleur général des prisons truction ». Ensuite, « ils sont L’« auxi » a « un peu le cul pé à trafiquer », « c’est sans chiffre en très légère baisse par
de détention. C’est lui qu’on avait jugé « largement insuf- choisis par rapport à leurs entre deux chaises », entre les pardon. On déclasse immé- rapport au niveau inégalé atteint
appelle « quand il faut répa- fisantes » la « qualité de l’offre compétences » ; si « le détenu détenus et les surveillants, diatement ». A tout moment, en avril, avec 70 230 détenus.
rer une télé, quand les siphons et la diversité du travail ». « Il est indigent ou pas, son com- estime Jean-François Alonzo, une commission pluridiscipli- En Occitanie, on dénombre
sont bouchés », résume-t-il. n’y a pas beaucoup de travail, portement...». chargé de cours d’histoire à naire unique (CPU) peut rele- 5 776 personnes incarcérées,
« La vision de la prison n’est surtout en maison d’arrêt », Dans les coursives de la seule l’École nationale de l’adminis- ver l’«auxi » de ses tâches. dont 1 584 en maison centrale,
qui purgent des longues peines,
ANALYSE La précarité de leur statut est critiquée par le Contrôleur des lieux de privation de liberté et 4 192 en maison d’arrêt, que
ce soit en détention provisoire
10 000 auxiliaires travaillent sans contrat pour un tiers du Smic ou en exécution de courtes
peines.
Dans notre région, la prison de
Les prisons françaises comp- mois à avoir été « classés », conférence en droit public à Nîmes est toujours totalement
tent un peu moins de c’est-à-dire associés à un de Toulouse 1 Capitole. Avant, dans le rouge : 446 détenus,
10 000 auxiliaires, ces déte- ces postes. « la question ne se posait pour 200 places officielles, soit
nus qui travaillent pour Les auxiliaires sont alors pas, ça faisait partie de la une surpopulation de 223 %.
l’administration pénitentiaire. rémunérés en fonction de condition carcérale, le déte- À Perpignan, on compte
Leurs conditions de travail, trois classes, qui dépendent nu devait remplir une sorte 393détenus pour 196 places
comme celles des autres de la technicité du travail et de travail d’intérêt général (200 %), et Carcassonne est à
détenus employés en prison, de leurs compétences : la en purgeant sa peine ». 185 % d’occupation. Les deux
sont l’objet de régulières con- classe I avec un plancher de Sur le plan du droit, « on ne plus grosses maisons d’arrêt de
troverses. 33 % du smic, la classe II à parle toujours pas de la région, celles de Villeneuve-
Trois types de travail existent 25 % et la classe III à 20 % du salaire, parce qu’il n’y a pas lès-Maguelone, près de
en prison : la régie indus- smic. de contrat de travail en pri- Montpellier, et celle de
trielle des établissements Début février, le Contrôleur son ». Pour combler ce « vide Toulouse Seysses, prévues pour
pénitentiaires, associée à des général des lieux de privation juridique », une nouvelle loi accueillir environ 600détenus,
contrats publics (1,4 % de la de liberté (CGLPL) a rédigé en 2009 a créé « l’acte d’enga- en hébergent chacune plus de
population détenue), les con- un avis, sur la base d’enquê- gement » qui fixe certaines 900.
cessions de main-d’œuvre tes notamment dans les éta- conditions entre le chef d’éta- En revanche, les maisons
pénale, qui lient un établisse- blissements d’Oermingen, blissement et le détenu. centrales réservées aux longues
ment avec des entreprises Val-de-Reuil et Poissy. ■ Le travail obligatoire en prison a été supprimé en 1987. AFP « Cela commence à poser peines sont toutes actuellement
privées (13,3 %), et le service « Tant l’encadrement juri- question sur le plan du en deçà de leurs capacité
général des auxiliaires dique que les conditions vail et de la formation en coordinatrice interrégionale droit, et de plus en plus de maximale.
(13,5 %), selon l’administra- matérielles du travail en détention sont largement sud-ouest à l’Observatoire détenus font des recours », De même, les centres de semi-
tion pénitentiaire. détention ne sont pas respec- insuffisantes », a écrit la international des prisons précise M Schmitz. liberté de Villeneuve-lès-
me
Le service général corres- tueux des droits fondamen- CGLPL, jugeant « nécessaire (OIP), qui dénonce une En septembre 2015, le Con- Maguelone et de Toulouse
pond à des travaux d’entre- taux des personnes », selon à la fois d’encadrer juridi- « rémunération inaccepta- seil constitutionnel avait jugé Seysses, censés favoriser la
tien, des tâches liées au fonc- cet avis. quement et de revaloriser le ble » et des « listes d’attente conforme au droit la législa- réinsertion en permettant à des
tionnement courant de l’éta- « Au regard des enjeux travail en détention ». interminables ». tion actuelle, qu’un détenu détenus de travailler dans la
blissement pénitentiaire : essentiels qu’elles représen- « En règle générale, le pro- Le travail n’est plus « obliga- avait contestée, réclamant semaine, et d’être détenus le soir
ménage, buanderie, cuisine, tent, notamment en termes blème, c’est qu’il n’y a pas de toire » depuis « la grande loi une nouvelle loi, avec l’appui ou pendant les week-ends, sont
manutention. En 2016, ils de réinsertion, la qualité de droit du travail en prison », pénitentiaire de 1987 », pré- de 375 universitaires et d’une plutôt sous-employés.
étaient environ 10 000 par l’offre et la diversité du tra- regrette Manon Cligman, cise Julia Schmitz, maître de vingtaine d’associations. FRANÇOIS BARRÈRE