Page 25 - Hunzinger - Press - Un chien à ma table
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La vie poétique des Hunzinger

                           Edition : 19 juillet 2022 P.36-36

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                         bouillet.  Ces deux-là  étaient  faits  ger. « Chez  les pionniers  améri  Ces  derniers  temps,  il a repéré
                         pour se rencontrer. Au sortir de la  cains, cela devait être la même cho  qu’une chevrette, fine et rousse,
                         guerre, « on s’estcôtoyé pour la pre  se »,pense Claudie. « Iln’yavaitpas  vient manger sesblettes.
                         mière fois au jardin d’enfants »,no  de hiérarchie entre les bêtes et les  « II y a un gros travail de paysageà
                         te Claudie. Robin ajoute, taquin et  humains. Parfois, mes enfants ont  préserver », observe le fils. Toutes
                         souriant :« Papan’estpassisûr...  »  dûavoirdumalàle  comprendre. Ils  lesdécisions - couper, planter, etc.
                                                   ont dû garder une empreinte, voire  sont prises en concertation. C’est
                         I«Ilsontdûgarderune
                                                   un tatouage de cetteenfance. »  un lieu de l’imaginaire de l’enfance
                          empreintede cetteenfance»  Comme pour beaucoup defilles et  très fort. » « On courait la monta
                                                   fils « de soixante-huitards », l’en  gne, durant les grandes vacances et
                          Pendant quinze ans, d’abord seuls  fance etl’adolescence n’ont pastou  les week-ends », ajoute sa sœur.
                         puis avec leurs enfants, les Hunzin  jours  été faciles.  Mais  contraire  « On  était tellement  libres  », re
                         ger ont vécu  sans  eau courante  ment à d’autres, Chloé et Robin ne  prend Robin. « On construisait des
                         comme  les paysans  des années  rejettent pas cet héritage d’ouvertu  cabanes,  nous  étions  les Indiens
                         1950. Pas de chasse-neige l’hiver à  re inouïe, de liberté absolue. Deve  avec nos arcs et Olivier et Bruno,
                         750 mètres d’altitude. À Bambois,  nus à leur tour parents,  ils ont  nos cousins,  les cow-boys.  » Les
                         la vie estfrugale etdure mais dans la  l’époque ayant radicalement chan  souvenirs en rappellent d’autres.
                         joie et conforme  à leurs idéaux. Sui  gé - adopté  d’autres  principes  Nuits à la belle étoile, jeux dans le
                         vant les élans du cœur, au rythme  d’éducation.  À 12 ans, Robin  fau  grenier,  sauvetage  de chatons...
                         des saisons. « Contrairement à au  che les prés, initie la première plate  Vente de serpolet, de fleurs et de ti
                         jourd’hui,  les enfants n’étaient  pas  bande  potagère.  « J’avais  peur,  sane au marché de Colmar.
                         au centre du monde à l’époque »,  quand on a cessé d’avoir un trou
                         admet  Claudie.  « II fallait  qu’on  peau de cent brebis, que le lieu parte  I« Ma maîtresse me traitait
                         tienne le lieu, on luttait pour notre  enfriche. »Depuis 2006,1ecinéaste  de petitepaïenne»
                         survie. Nous avons agi avec incons  estrevenu vivre à Bambois avec ses
                         cience et instinct, comme pour le  deux enfants, Tim, âgé de 16 ans, et  « Maman voulait qu’on l’appelle
                         reste. »Les enfants courent avecles  Nine, 11 ans. Dans l’ancienne écu  Claudie », remarque sa fille. « J’ai
                         brebis, guidées par le chien de ber  rie, il a installé sa maison-studio.  l’impression que son intérêt pour
                         L’art de la transmission                             nous s’estdéveloppé à mesure que
                                                                              nous grandissions. Que nous pou
                                                                             vions échanger etpartager des cho
                                                                              ses. » De l’exposition médiatique à
                          Fille, mère, paysanne, artiste, les  « On m’a transmis un univers »,  la suite du livre Bambois ou la vie
                         rapports sont intriqués. Claudie a  avance Claudie. « Onpeut dire tout  verte,les enfants gardent des senti
                         fait œuvre à partir d’une subjectivi  ce que l’on veut de ses parents, mais  ments  mitigés.  Robin  se cachait
                         té, d’images révélatrices de mémoi  il y a un héritage implicite dont on  sous lesjupes de sa mère quand dé
                         res.Ses enfants ont le privilège de le  s’aperçoit bien plus tard. II n’estpas  barquaient des joumalistes et d’au
                         comprendre. Ils se retrouvent dans  dit, on le boit avec l’air que l’on res  tres personnalités. II a 5 ans quand
                         ses livres - surtout les premiers -,  pire dans la maison. » Du côté de sa  Jean-Marie  Drot  pose sa caméra
                         certesromancés. Qu’est-ce qui relè  mère, Emma, il y a eu la littérature.  dans la ferme. « On était dans des
                         ve d’une transmission  dans leurs  L’exergue  d’Elles  vivaient  d’espoir,  magazines  comme  Elle,  les jour
                         parcours artistiques respectifs, voi  (éd. Grasset, 2010) en témoigne :  naux télé... », relève le fils. Qui a
                         re dutransgénérationnel ? Autrice,  « J’ai été élevée par une bibliothè  vécu cettepériode comme « une in
                         scénariste, Chloé est entrée dans le  que. » « Jem’aperçois quepour mes  trusion ».
                         monde de l’audiovisuel grâce à son  enfants, c’estabsolument la même  « C’estpeut-êtrepour cela qu’on a
                         frère  cinéaste  et documentariste.  chose »,lance-elle.«  Francis etmoi,  fait des films  ! », hasarde  Chloé.
                         Enfants ancrés dans le réel quand  nous n’avons pas de bibliothèque  « Dans ma classe,il y avait despho
                         leur mère letresseàlafiction.  « Nos  commune.  II a la sienne autour  de  tos de ma famiile  accrochées  au
                         parcours  ont été tout à fait diffé  lui, dans sa chambre, et quand il me  mur. Commejen’étaispasbaptisée,
                         rents », affirme Claudie. « Mais ils  prête un livre, il me le redemande  ma maîtresse me traitait de petite
                         se sont aussi entremêlés, chacun  trèsvite. Francis abesoin d’avoir ses  païenne. » À ce moment-là, Chloé
                         ayant son langage. » Les complici  auteurs  autour  de lui. » Comme  vit à Strasbourg  chez sa tante Ma
                         tésartistiques entre mère etfille, frè  leurs parents, Chloé etRobin ont un  non. « Sa famiile de ville », comme
                         re etsœur, mère etfils ont réinventé  semblable attachement à la matiè  elle dit. « C’est grâce à mes deux fa
                         lesliens desang.          re-livre.                  milles queje me suis construite. »








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