Page 40 - Black Beautés Magazine
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CELLES QU’ON N’ENSEIGNE PAS MAIS QUI
NOUS ONT CONSTRUITES
Elles ne figurent pas dans les manuels. On ne leur érige
pas de statues. Pourtant, elles ont bâti, résisté, inspiré. Ce
sont les matriarches noires, oubliées de l’Histoire
officielle, mais fondatrices de nos héritages.
Solitude (Guadeloupe, env. 1772–
femme debout, femme libre
Née d’un viol colonial, elle devient une figure de la
résistance contre le rétablissement de l’esclavage par
Napoléon. Enceinte, elle combat aux côtés de Louis
Delgrès. Elle est exécutée après son accouchement. Son
nom est devenu un symbole de combat et de maternité
militante. En 2020, une statue est enfin érigée à son
effigie à Paris, dans le Jardin du Luxembourg.
Elle s’appelait Rosalie. Née vers 1772, fille d’une esclave
africaine violée par un marin blanc, elle grandit sous la
violence du système esclavagiste en Guadeloupe. Malgré
le statut d’homme libre de son père, elle est réduite à
l’état de propriété, comme le permet le Code noir de
1685. Pendant deux décennies, Rosalie endure les
chaînes, les sévices, les travaux forcés — mais son esprit
ne faibli pas.
Lorsque l’esclavage est aboli en 1794, elle rejoint les
communautés de « marrons » (les esclaves qui s’étaient
échappés des plantations avant l’abolition) dans les
mornes guadeloupéens, ces terres de repli et de survie.
Elle y forge son nom de guerre : Solitude.
Mais en 1802, Napoléon rétablit l’esclavage. La
Guadeloupe s’embrase. Solitude, alors enceinte, prend les
armes aux côtés du colonel Louis Delgrès. Le 10 mai 1802,
dans un appel historique — « À l’univers entier, le dernier
cri de l’innocence et du désespoir » — la résistance noire
refuse le retour des chaînes.
Solitude combat. Elle survit là où tant d’autres tombent. Capturée, elle n’est pas exécutée immédiatement. Le
pouvoir colonial attend qu’elle accouche. Le 28 novembre 1802, elle met au monde un fils, qui naît esclave. Le
lendemain, elle est pendue. Les témoins racontent une foule dense, pétrifiée par le silence. Une femme enceinte,
combattante, exécutée pour avoir osé résister.
Solitude, c’est l’icône silencieuse de toutes les “femmes debout”. Pas la seule : à ses côtés dans l’Histoire, il y eut
Heva à La Réunion, Claire en Guyane, Sanité Belair en Haïti. Mais Solitude est celle dont la mort a figé le cri.
En 2021, enfin, une statue est érigée à son effigie à Paris, dans le jardin du Luxembourg. Il aura fallu plus de 200
ans pour que la République se souvienne. « Solitude » est la première statue de femme noire a été inaugurée à
Paris !