Page 7 - Mes années soixante PDF
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A cette époque où les écrans étaient nouveaux et

             rares, contrairement à aujourd'hui, quand on a 6 ans,

             on ne sait pas vraiment ce qui se passe dans la boite

             magique.  Les  images  étaient-elles  réelles  ?  Je  ne

             pense pas que je réalisais que le match se déroulait

             quelque  part  ailleurs  que  dans  l'écran,  sur  un  vrai


             terrain.  Et  l'image  était  pour  moi  comme  celle  d'un

             jeu  vidéo.  Aujourd’hui  encore,  lors  d’un  match  de

             foot,  il  m’arrive  de  retrouver  mon  regard  d’enfant

             devant  l’écran,  de  voir,  en  un  éclair,  défiler  des

             personnages  virtuels,  irréels,  sur  un  tapis  vert  et  de


             ressentir  une  forte  émotion,  intacte,  qui  me  ramène

             étrangement 54 ans en arrière. C’est ma madeleine de

                                             Proust.

                                                 Ma  mémoire  olfactive,  aussi,

                                             m’a  déjà  servi  de  machine  à

                                             remonter le temps. Lorsqu’il m’est

             arrivé,  rarement,  de  sentir  l’odeur  d’amande  de  la


             colle  blanche,  celle  qu’on  puisait  dans  le  petit  pot

             avec  une  spatule  souple  pour  tartiner  les  papiers,

             cette odeur qui nous envahissait les naseaux pour la

             journée. Je me retrouvais soudain, adulte, transporté

             par cette odeur, à regarder par la fenêtre de l’école les

             champs de tulipes qui me faisaient rêver, enfant.

                  A l’époque, en général, nos jeux étaient plutôt du


             genre  pacifique.  Tantôt  une  partie  de  foot  dans  des

             pairies inappropriées, au milieu des pommiers, tantôt

             une  course  de  vélos,  trop  grands  pour  nous,  une

             jambe passée en dessous de la barre, pour dévaler la

             forte  pente  de  la  fontaine  du  Feu,  en  contre-bas  du
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