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Les gueux du Gai Savoir
Écrits hérétiques
Jean-Claude Hauc
Depuis plusieurs années, Daniel Dezeuze se plaît à faire cohabiter dessin et écriture : Le
livre noir de la chevalerie errante, L'art de la solitude, Vade-mecum pour gnostiques avancés, Troubadour de
service et Courtoises frimousses avec fleurs, etc. Dans les Écrits hérétiques que nous offrent aujourd'hui les
éditions Méridianes, l'artiste propose certains textes publiés précédemment, d'autres inédits ;
l'ensemble accompagné de 41 dessins de 34 x 28 cm.
À la suite de ses grands voyages (Espagne, Mexique, Canada) et de son aventure avec le
groupe Supports-Surfaces, de retour à Sète, auprès de la Mare Nostrum, au début des années 80,
tout en poursuivant et enrichissant son travail plastique, Daniel Dezeuze va s'intéresser de plus en
plus au catharisme médiéval et à ces sectes du début de l'ère chrétienne que l'on nomme
gnostiques. Ceux-ci, contrairement aux manichéens, bien que se considérant également en exil
dans un monde mauvais, croient en la possibilité de quelque salut par la Connaissance (la Gnose).
L'artiste se penchera alors plus précisément sur le papyrus de la bibliothèque de Nag Hammadi,
découvert en 1945 dans la vallée du Nil, dans lequel il retrouve ce sentiment d'« abandon », à la
racine de toutes les religions ; mais également à celle de la peinture et de la poésie.
Dans ce livre qui s'ouvre et se ferme sur le dessin de forteresses cathares, Daniel Dezeuze
ne se prive pas d'évoquer avec humour le Mal qui fascine et « sent le fagot », de se gausser des
Parfaits et des troubadours qui « se sont éjectés en solitude ou dérèglement raisonné des sens », ou d'ʴve qui
« joua de diverses semences, donnant vie à Seth ou à Abel dans le clair du matin, mais aussi à Caïn et autres
rustauds à l'heure des corvées et des peines ». Le blasphème constituant pour lui le dernier lien avec la
transcendance.
Dans Dires d'un Bonhomme sur les chemins de l'exil, plus sérieusement, la marche des cathares
fuyant le Languedoc est comparée à celle des Espagnols de la Retirada franchissant les Pyrénées
en 1936 : « La vie est une fuite / 6HV ±XYUHV DXWDQW G impedimenta ». Car l'exode des hérétiques est
sans fin ; poursuivis par l'armée des religions, ils empruntent les petits chemins : « les gueux du Gai
Savoir / portent la Bonne Nouvelle / d'un Dieu absent. »
Avec Nous les Parfaits, Daniel Dezeuze fait également sienne la radicale révolte célinienne :
« Nous n'avons jamais voulu naître et nous voici jetés dans le Monde, dans des errances misérables. » L'homme
n'est que carne que les mouches pénètrent par les narines. Aliénation cosmique, ver à peine
rectifié, exploité de l'univers. Celui qui s'imagine pur esprit est simplement prisonnier de la glue
du monde.
Dans Mysticades enfin, les textes en haut de page évoquent le Chaos cosmique où le
gnostique s'efforce de trouver sa place ; alors que ceux du bas sont inondés de lumière, envahis
d'oiseaux et de plantes sauvages, tandis que le soleil pénètre enfin la nuit. Comme si nous nous
trouvions alors dans ce jardin au sommet du Mont Saint-Clair, surplombant la Méditerranée, où
est également installé l'atelier de l'artiste.
Les grands dessins au pastel ou au feutre de couleur sur fond noir ressemblent à
d'étranges victoires remportées sur la nuit éternelle. Les formes inachevées, énigmatiques, oiseaux
ou tourbillons, d'un tracé nerveux ou languide, font penser aux ʴons que le gnostique rencontre
au cours de son périple initiatique. Attraction du vide, souvenirs nébuleux d'un chaos originel.
Leurs titres contribuent encore à renforcer l'inquiétante étrangeté et l'ironie diffuse baignant le
projet général : « Digne de révélation », « Chaos sans limite », « Terme du tout », « Ceux qui sèment », « Les
affligés de l'Hadès », « Folle sagesse charnelle », « La Vierge aux quatre seins »...
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