Page 31 - Lux in Nocte 16
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Les gueux du Gai Savoir

                                                    Écrits hérétiques

                                                                                       Jean-Claude Hauc

                      Depuis plusieurs années, Daniel Dezeuze se plaît à faire cohabiter dessin et écriture : Le
               livre noir de la chevalerie errante, L'art de la solitude, Vade-mecum pour gnostiques avancés, Troubadour de
               service et Courtoises frimousses avec fleurs, etc. Dans les Écrits hérétiques que nous offrent aujourd'hui les
               éditions  Méridianes,  l'artiste  propose  certains  textes  publiés  précédemment,  d'autres  inédits  ;
               l'ensemble accompagné de 41 dessins de 34 x 28 cm.
                      À la suite de ses grands voyages (Espagne, Mexique, Canada) et de son aventure avec le
               groupe Supports-Surfaces, de retour à Sète, auprès de la Mare Nostrum, au début des années 80,
               tout en poursuivant et enrichissant son travail plastique, Daniel Dezeuze va s'intéresser de plus en
               plus  au  catharisme  médiéval  et  à  ces  sectes  du  début  de  l'ère  chrétienne  que  l'on  nomme
               gnostiques. Ceux-ci, contrairement aux manichéens, bien que se considérant également en exil
               dans un monde mauvais, croient en la possibilité de quelque salut par la Connaissance (la Gnose).
               L'artiste se penchera alors plus précisément sur le papyrus de la bibliothèque de Nag Hammadi,
               découvert en 1945 dans la vallée du Nil, dans lequel il retrouve ce sentiment d'« abandon », à la
               racine de toutes les religions ; mais également à celle de la peinture et de la poésie.
                      Dans ce livre qui s'ouvre et se ferme sur le dessin de forteresses cathares, Daniel Dezeuze
               ne se prive pas d'évoquer avec humour le Mal qui fascine et « sent le fagot », de se gausser des
               Parfaits et des troubadours qui « se sont éjectés en solitude ou dérèglement raisonné des sens », ou d'ʴve qui
               « joua de diverses semences, donnant vie à Seth ou à Abel dans le clair du matin, mais aussi à Caïn et autres
               rustauds à l'heure des corvées et des peines ». Le blasphème constituant pour lui le dernier lien avec la
               transcendance.
                      Dans Dires d'un Bonhomme sur les chemins de l'exil, plus sérieusement, la marche des cathares
               fuyant le Languedoc est comparée à celle des Espagnols de la Retirada franchissant les Pyrénées
               en 1936 : « La vie est une fuite / 6HV ±XYUHV DXWDQW G  impedimenta ». Car l'exode des hérétiques est
               sans fin ; poursuivis par l'armée des religions, ils empruntent les petits chemins : « les gueux du Gai
               Savoir / portent la Bonne Nouvelle / d'un Dieu absent. »
                      Avec Nous les Parfaits, Daniel Dezeuze fait également sienne la radicale révolte célinienne :
               « Nous n'avons jamais voulu naître et nous voici jetés dans le Monde, dans des errances misérables. » L'homme
               n'est  que  carne  que  les  mouches  pénètrent  par  les  narines.  Aliénation  cosmique,  ver  à  peine
               rectifié, exploité de l'univers. Celui qui s'imagine pur esprit est simplement prisonnier de la glue
               du monde.
                      Dans  Mysticades  enfin,  les  textes  en  haut  de  page  évoquent  le  Chaos  cosmique  où  le
               gnostique s'efforce de trouver sa place ; alors que ceux du bas sont inondés de lumière, envahis
               d'oiseaux et de plantes sauvages, tandis que le soleil pénètre enfin la nuit. Comme si nous nous
               trouvions alors dans ce jardin au sommet du Mont Saint-Clair, surplombant la Méditerranée, où
               est également installé l'atelier de l'artiste.
                      Les  grands  dessins  au  pastel  ou  au  feutre  de  couleur  sur  fond  noir  ressemblent  à
               d'étranges victoires remportées sur la nuit éternelle. Les formes inachevées, énigmatiques, oiseaux
               ou tourbillons, d'un tracé nerveux ou languide, font penser aux ʴons que le gnostique rencontre
               au cours de son périple initiatique. Attraction du vide, souvenirs nébuleux d'un chaos originel.
               Leurs titres contribuent encore à renforcer l'inquiétante étrangeté et l'ironie diffuse baignant le
               projet général : « Digne de révélation », « Chaos sans limite », « Terme du tout », « Ceux qui sèment », « Les
               affligés de l'Hadès », « Folle sagesse charnelle », « La Vierge aux quatre seins »...





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