Page 54 - Lux in Nocte 17
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Marcel Otte




            La  forme  particulière  prise  par  les  relations  entre   l’outil  aurait  précédé  le  feu,  lui-même  suivi
            l’humanité  et  son  destin  constitue  selon  nous   par  la  sépulture,  puis  l’art,  l’agriculture,  enfin
            la  caractéristique  essentielle  du  Mésolithique.   l’écriture  le  cas  échéant.  Des  aires  marginales  à
            Cette  condition  humaine  ne  présente  à  nos  yeux   ces  centres  d’innovations  successives,  auraient
            aucun  rapport  ni  avec  l’environnement  ni  avec   alors  correspondu  aux  «  étapes  »  abandonnées
            la  néolithisation  ultérieure,  au  moins  dans  ses   par  les  aires  centrales,  en  constante  évolution.
            fondements principaux, bien que l’audace propre aux   C’est  là  où  Claude  Lévi-Strauss  croyait  voir  des
            Mésolithiques ait conduit, ici ou là, au Néolithique   sociétés  chaudes  et  des  sociétés  froides,  alors
            effectif. Le processus s’est d’abord enclenché dans   qu’il  ne  s’agissait  que  de  vitesses  évolutives
            la mentalité des populations sous toutes les latitudes   décalées (Lévi-Strauss, 1962). Si ce schéma d’une
            et  dans  des  conditions  géographiques  totalement   extrême  approximation  se  trouve  souvent  admis
            différentes  (Otte,  2010).  Une  série  de  critères,   en  ethnologie,  on  a  plus  de  mal  à  concevoir  et  à
            évoqués ici, ont tissé un réseau de comportements   accepter  la  spécificité  du  Mésolithique,  toujours
            complexes    et   directement   reconnaissables,   présenté comme un intermédiaire et non comme une
            équilibrés, spécifiques. Le caractère le plus évident   entité historico-culturelle autonome et particulière.
            étant  situé  dans  le  rapport  nouveau  que  s’est  fait   Cette  interprétation  est  surtout  fondée  sur  la
            l’humanité vis-à-vis de la nature. Historiquement,   relation, trop  étroitement établie en  Europe,  entre
            il est bien logique que cette période ait été reconnue   la période postglaciaire et le Mésolithique comme
            et  définie  tardivement  relativement  aux  grandes   si  l’une  justifiait  l’autre.  Or,  un  simple  regard
            périodes  paléolithiques  et  néolithiques.  Mais  il   circumméditerranéen  prouve  que  ces  mutations
            s’agit  là  surtout  d’une  cécité  due  aux  sciences   affectent toutes les régions aux climats totalement
            ethnologiques connues en cette fin du dix-neuvième   différents  et  de  toute  façon  non  concernées  par
            siècle qui ne voyait guère l’immense diversité des   la  déglaciation  (Capsien,  Natoufien).  L’extrême
            populations  encore  existantes  à  leur  époque,  non   densité  des  populations  d’Europe  moyenne  et  du
            civilisées    et  pas  même  productrices  agricoles.   nord,  souvent  négligées,  constitue  pourtant  un
            Pourtant, de nombreuses civilisations de chasseurs   champ de recherche appliquée à une grande densité
            toujours vivantes alors auraient pu donner l’indice   démographique et d’une très longue durée, tout à
            de  cette  correspondance  universelle  entre  des   fait  extérieure  au  Néolithique  ancien  du  sixième
            systèmes  de  vie  structurellement  analogues  et   millénaire en Europe continentale. On peut ainsi y
            tout  autant  séparés  des  modalités  paléolithiques   observer  des  modalités  d’expression  symboliques
            (Aborigènes d’Australie) que néolithiques (paysans   à la fois différentes du Paléolithique et totalement
            carpato-balkaniques).  A  l’aide  des  informations   étrangères  au  Néolithique,  soit  antérieures  soit
            archéologiques, nous pouvons dresser un bilan de   contemporaines dans les autres régions européennes
            ces  systèmes  de  vie  propres  aux  Mésolithiques,   (Bonsall,  1986  ;  Grunberg  HW  DO ,  2016).  Enfin,
            fondés  sur  une  métaphysique  spécifique  et  stable   le  Mésolithique  doit  être  considéré  comme
            comme  la  pratiquent  encore  certaines  populations   irréductible  aux  autres  périodes  qui  l’encadrent
            extrême-orientales (Leroi-Gourhan, 1989).          chronologiquement, d’autant plus qu’il se prolonge
                                                               bien au-delà et jusqu’à aujourd’hui encore.
            Cette  interprétation  implique  l’existence  d’une
            trajectoire unique et constante qui emporte l’histoire   D’une façon générale, le Mésolithique correspond,
            humaine selon une succession d’étapes logiquement   de façon très significative, à une période de grande
            organisées : chaque évènement culturel principal ne   diversité dans la quête des ressources alimentaires,
            peut apparaitre qu’à la place qu’il occupe et qui en   terrestres  ou  fluviales,  voire  marines,  impliquant
            précède un autre avec la même régularité. L’histoire   une   libération   apparente   des   contraintes
            humaine aurait donc un sens, une signification qui   sociologiques qui fixaient au Paléolithique le choix
            la rende apte à élaborer des théories scientifiques   vers les espèces à abattre et à partager. Inversement,
            et  à  les  confronter  entre  elles.  Pour  faire  simple,   la forte densité démographique du Mésolithique a


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