Page 16 - Bouffe volume 3 - Surgelée
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et j’essaie de créer des liens d’amitié aussi rapidement que possible. On jase de bijoux et de vêtements créés par les en- gagés. Comme à l’époque, ils ont été fabriqués par ce qu’ils ont pu trouver : couvertures, morceaux de cuir, billes, etc. Tout est personnalisé selon le style de la personne qui confec- tionne la pièce, mais est également pensé pour être pratique en terme de chaleur. Tranquillement, on s’apprivoise les uns les autres. Le chef, James, est un homme à lunettes qui porte la marque des engagés contemporains : tatou et perçage (au nez dans son cas). Il semble être un bon vivant. En soule- vant le couvercle de la marmite, James permet à la vapeur de s’échapper et de réchauffer tous ceux près du feu. La marmite est pleine de bonnes choses. Les engagés sortent leur bol et m’en filent un. Avec quelques louches de ragoût, je sens que je me retrouve sur la meilleure partie du dos de la tortue. Est-ce des panais? Est-ce du chevreuil? Est-ce des dumplings? Les touristes se rapprochent et cherchent à partager l’expérience avec nous. Mais, par peur de ne pas respecter la réglementation provinciale sur l’hygiène ali- mentaire, les engagés privent les touristes de l’expérience. Mais moi, je risque la contamination et je consomme à grandes cuillerées le contenu de mon bol. Oh grand Mani- tou, miigwech, miigwech, miigwech! Ma main dominante, droite si vous vous le demandiez, devient attachée à la cuillère pour deux raisons : 1) je ne peux pas m’arrêter de prendre des bouchées de ce merveilleux ragoût et 2) la cuil- lère gèle à ma peau! J’observe les autres engagés et ils ont tous gardé leurs mitaines. Ce n’est pas leur premier repas à ciel ouvert à la mi-hiver!
Un des engagés du Festival du Voyageur me fait savoir que tout bon repas se doit d’être complété par une p’tite shot de fort. Ah, la vraie réponse pour se garder au chaud. Je me retrouve dans une tente chauffée, mais on me sert un verre en glace. Il fait froid et tu veux que je boive dans un verre en glace? « Fais-moi confiance, du caribou c’est mieux glacé, et c’est un verre environnemental, ça se décompose facile- ment. Si pas aujourd’hui, au printemps. Je porte le récipient d’alcool en glace à mes lèvres et le caribou prend effet de façon instantanée. À vrai dire, je n’ai aucune idée c’est quoi du caribou et pourquoi cette boisson porte le nom d’un ani- mal des bois. Mais, je m’en fous, car on doit être fou pour chercher une expérience aussi hivernale.
Conclusion : pour survivre à l’hiver au Manitoba, il faut avoir un regard optimiste sur la vie (joie de vivre); il faut être prêt à accepter ce qui nous est présenté, peu importe l’ère dont ça provient; il est intelligent de suivre l’exemple de ceux qui ont déjà vécu l’expérience; et il vaut mieux ne pas questionner ce qu’on mange ni ce qu’on boit. Si le Fes- tival du Voyageur célèbre les engagés et non le bourgeois, si plus de 100 000 visiteurs viennent vivre l’expérience hi- vernale durant 10 jours, c’est que la vraie richesse provient des conditions favorables à se créer des amis rapidement, et à apprécier la nourriture — quelle qu’elle soit — source de chaleur et de distraction momentanément. Vive les en- gagés, vive le Festival du Voyageur, vive la douche chaude une fois chez moi!