Page 14 - Bouffe volume 3 - Surgelée
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Stratégiquement entouré de pins, question de couper le vent du nord, le tipi le plus près est facilement repérable avec ses troncs d’arbres qui s’élèvent vers le ciel; sur les plaines, peu de choses instiguent le regard vers le ciel, sur- tout ces temps-ci, alors que le regard se dirige plutôt vers les pieds — car la position fœtale semble être la plus confor- table lorsqu’il fait - 40 °C. Je me sens inspiré par la boucane
14 qui voltige le long des troncs d’arbres et continue sa mon- tée, s’assimilant au vaste climat hivernal. Mais l’inspiration
cesse rapidement lorsque certains faits historiques me re-
viennent. Les tipis, c’est chauffé avec des crottes de bisons
séchées et jetées au feu. Pour vrai! Donc, à mon entrée, je me prépare à une odeur... disons... particulière. À vrai dire, je n’ai aucune idée de l’odeur de la merde de bison, mais si elle est comparable à des expériences merdiques dans mon ré- pertoire — par exemple, à la merde de grandes bêtes comme les vaches —, je sais que ce ne sera pas plaisant. En entrant, la chaleur efface tous mes soucis. Je m’installe sur une peau de bison près de Steve Grey Eyes. Mes yeux (noisette) se dirigent vers le feu. Bizarre! Le feu est en réalité une chauffe- rette à propane, mis sur le dos. Hein? La chaufferette, rouge comme un vrai feu, est assez puissante pour faire bouillir de l’eau, créant de la vapeur qui s’échappe par le haut du tipi. Ahhh... ce n’est pas de la vapeur de merde... Ouf!
Steve Grey Eyes (qui a les yeux bruns) est un compteur d’histoires. On devient donc amis facilement et rapidement. Je lui pose une couple de questions banales avant de lui demander si la marmite avec de l’eau bouillante servira de base pour une soupe aux pois. Je regrette aussitôt mon choix cliché, c’est sûrement une soupe aux poissons de la rivière rouge! Eh bien non, il prend plutôt des sachets de thé Red Rose et les lance dans la marmite. Hein? Red Rose? « Ben oui, dit-il, même à l’époque, tu sais, on avait accès à quelque chose de meilleur que ce qu’on pouvait trouver dans le bois; pourquoi ne pas s’en servir? » Logique. Avec cela, nous nous enlignons pour une bonne tasse de thé!
Mon expérience au Fort Gibraltar ne serait pas satisfai- sante seulement avec une tasse de thé. Donc, je m’aventure un peu avec Steve Grey Eyes et lui demande ce qu’auraient mangé les voyageurs et les engagés à ce temps-ci de l’année. Je lui indique le maïs sec et la tasse de farine tout près de la tasse de billes. Sa réponse ne fut pas encourageante « Ben, souviens-toi que c’était une période pré-agriculture, donc les repas étaient surtout composés de viande. » Pas si mal cela, mais le pire m’attendait toujours. « À ce point-ci de l’hiver, tu serais content avec n’importe quel repas de viande : viande de chien de traîneau, viande de mocassin... » Oh boy, moi avec mes bottes faites de produits synthétiques, ça va être difficile à mastiquer! Le message est clair, les conditions étaient difficiles. Mais j’indique, tout comme le thé, il y a une tasse de farine ici à l’époque moderne. Il rit et sort un bol pour faire de la bannock cuite, bien sûr, sur la chaufferette à propane. Le tout ne prend pas longtemps, mais le seul résul- tat est que mon appétit grandit. Je demande comment les engagés d’aujourd’hui se nourrissent. « Comme à l’époque, explique-t-il, tout fonctionne par le bouche-à-oreille. Ce n’est pas difficile de savoir qui a préparé un festin dont on peut profiter en arrivant un bol en main. »
« Y a-t-il de telles rumeurs présentement? », je demande.
En effet, il y en avait. À l’intérieur du fort et dans une casserole, sur un feu dehors, il y a un ragoût qui laisse échapper des odeurs ensorcelantes. Il y a déjà quelques engagés rassemblés près du feu. J’utilise la même tactique


































































































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