Page 39 - Bouffe volume 3 - Surgelée
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Quand j’aborde le sujet de typiques photos de boufe, Alain me répond qu’elles le surprennent autant que quand il voit quelqu’un en jogging dans un Wal-Mart. « On n’est pas sur- pris quand on voit la photo d’un plat. C’est toujours la même recette qui est appliquée. J’suis pas un spécialiste en boufe, mais ce que je vois dans les magazines, c’est rare que ça me surprend. Il y a des looks plutôt classiques qui s’adressent à tout le monde pour assurer de ne fâcher personne et de rejoindre la plus grande masse. Ça donne des images qui ne surprennent pas. »
« Ça c’est la façon polie de le dire », je réplique. Il rit. « À peu près! »
Je propose donc un univers dans lequel tout le monde essaie toujours de surprendre. Étant un homme raison- nable, Alain n’a pas cette vision anarchique en tête. « Moi, les images que j’aime le plus, c’est quand il se passe quelque chose. Tu regardes l’image et tu fais Oh wow! Ça vient te chercher à quelque part. »
Mais — au risque que les yeux qui parcourent ces lignes
soient ceux d’un jeune artiste qui rêve de révolutionner le
monde de la pub — n’enilez pas vos lunettes roses trop rapi-
dement. Enilez plutôt vos bottes de travail. Parole d’Alain :
« En étant photographe en pub à Montréal, la seconde que
t’arrêtes de courir après les contrats, t’es mort. Faut que tu continues à tester de nouvelles choses, faut que le monde
entende parler de toi. Si t’es pas actif à ce niveau-là, tu vas
te faire tasser c’est sûr, sûr, sûr. Il y a trop de compétition
et de bons photographes pour pouvoir s’asseoir sur ses lau- 39 riers. » Donc contrairement à la croyance populaire, la vie montréalaise n’en est pas toujours une de vœux champagne
et de rêves caviar. Comme partout, le col bleu est toujours porté par la majorité et les clefs à Westmount ne lui sont pas ofertes sur un plateau d’argent.


































































































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