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Christine Adamo - Copyright NMS51GC





                        rêche.  Ses  os  sont  pointus  quand  elle  me  touche  sans  le  faire

                        exprès. Et son odeur me donne envie de vomir. L’odeur de vieille

                        pomme de terre bouillie qu’elle a à cause de la pommade qu'elle
                        met sur ses boutons qui sont sur son menton. Je l'ai dit à Théophile

                        à l'école. Il a répondu les-boutons, c'est-parce-qu’elle-se-rase-trop-

                        souvent,  mon-père-c’est-pareil.  Mais  ce  que  je  lui  ai  pas  dit  à
                        Théophile, c’est que maman sent aussi le whisky. Whisky, je sais

                        l'écrire. C'est marqué sur toutes les bouteilles qui sont dans le pub

                        de Granma. Mais là-bas, il sent bon. Dans l'haleine de maman, il
                        sent le méchant. Et la punaise.

                               Il  y  a  que  quand  elle  en  a  vraiment  trop  bu,  de  l’eau  de

                        punaise  que,  des  fois,  maman  dit  des  choses  bizarres.  Tu-ne-te-

                        rends-pas-compte.      J’ai-bien-plus-d’affection-pour-toi-que-pour-
                        qui-que-ce-soit-en-ce-bas-monde.      Si-tu-me-quittes-aussi,    j’en-

                        mourrai.  Même  que  ça  lui  fait  ses  yeux  mouillés  derrière  ses

                        lunettes, sa  bouche  un peu baveuse.  Et elle  me fait penser à une
                        limace  d'après  la  pluie  sur  les  marguerites  du  début  de  l'été.  Ou

                        encore aux oignons que la marâtre des contes frotte sur ses yeux

                        pour  faire  croire  au  père  imbécile  qu'elle  a  remarié  qu'elle  aime

                        vraiment les enfants qui, pourtant, sont pas les siens vu qu’elle a
                        pris la place de la mère morte.

                               Je sais que maman est pas une marâtre. Mais quand même.

                        Des fois, j’aimerais bien qu’on me dit que c’est  pas vraiment du
                        trou entre ses jambes que je suis sorti. Parce que maintenant, ça me

                        dégoûte de penser qu’il y a des morceaux d’elle dans mon cerveau,

                        dans  mon  sang,  dans  mes  gènes,  et  dans  mes  chromosomes.
                        Chromosomes, je l'ai écrit il y a pas longtemps sur mon carnet-à-

                        mots et, dedans, il paraît qu'il y a encore des x et des y pour dire au





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