Page 61 - Le grimoire de Catherine
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LE CHARIOT DE MEPHISTO
Il est 6h30.le camion-poubelle émerge du brouillard, tout est normal. Sauf qu’on n’est
pas lundi. Je ne vais pas commencer à me poser une question qui restera très
certainement sans réponse, pourquoi aujourd’hui et à une heure si matinale ?
D’ailleurs c’est sans importance ! Bien que…
Depuis que j’ai déménagé dans la cabane du fond de mon jardin, je ne suis plus
dérangé par tous ces bruits parasites qui assiègent nos oreilles de citoyens bien
formatés.
Je suis devenu sourd aux bavardages des donneurs de leçons, aux informations
télévisées porteuses de partis pris. Je choisis mes bruits en fonction de mon humeur,
c’est cela le vrai bonheur. Tantôt je peux y entendre les pépiements des moineaux,
tantôt des airs de Mozart, parfois même, beaucoup mieux encore, les rires de mes
petits enfants !
Certains sons, il est vrai, peuvent de temps à autre troubler cet environnement choisi,
par exemple celui d’un avion, l’appel d’un animal sauvage et le lundi celui du fameux
camion-poubelle, ramasseur des scories de tous.
D’ailleurs tout cela n’a pas d’importance. De plus, il fait bien sombre aujourd’hui, je
ferai mieux de profiter de ce moment précieux où les ombres se faufilent pour celui qui
veut prendre la peine de les observer et pourquoi pas de les suivre.
Ma foi, cette ville est agréable, j’aime ces rues pavées formées de petites mosaïques
blanches et noires, ces boutiques aux devantures suggérant la palette d’un peintre
coloriste, ces odeurs d’épices, évocatrices de longs voyages et le brouhaha de
langages cosmopolites. Je suis bien, autour de moi, beaucoup de personnes …je n’en
connais aucune mais nous partageons ce moment.
Notre guide parle, parle. Qui écoute ? Peu importe ! Nous marchons, marchons… Les
rues se succèdent, se croisent, s’enchevêtrent, débouchent sur de petites places qui
elles-mêmes distribuent en étoiles d’autres rues plus étroites.
J’ai toujours aimé déambuler, le nez en l’air, humer la vie comme le vont naturellement
les animaux. Je n’attends rien, je me laisse traverser par le moment à saisir, je suis
disponible, pour m’approcher de ce que je ne connais pas.
Je n’entends plus la voix de notre guide, elle ne doit pas être bien loin. Peut-être s’est
elle laissé tenter par quelques crèmes miracles, sensées effacer les marques
Du temps et nous aura oublié pour entrer dans une boutique. Rien de grave,
continuons.
Le soleil se fait de plus en plus brûlant. Quelle ruelle choisir ? Toutes sont alléchantes,
étonnant ce mot qui me vient. Il appartient plutôt au vocabulaire culinaire
qu’architectural. Je sais, elles me font penser à un empilement de macarons bruns,
verts ou roses. Tout y est très propre, mieux, très raffiné. Marcher au soleil ou pas, ce
n’est pas un dilemme ici les maisons ne projettent aucune ombre. Faisons-nous
plaisir, empruntons celle aux dégradés mordorés.Tout y est silencieux. Ici, pas de vent
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