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Les dentelles dans le vestiaire d'une famille aristocratique...
Blonde.
Toutes les robes s’accompagnent forcément de dentelles,
soit pour les engageantes, les coiffures et les barbes ou
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pour souligner le décolleté. La folie des dentelles était telle
à l’époque que les tabletiers en faisaient même une déco-
ration sur les éventails et les soyeux lyonnais les tissaient
en rubans ondulés dans leurs pièces de soies. Madame
de Champgrand en achète régulièrement de toutes les
variétés, dentelles blanches et dentelles noires courantes
non spécifiées, plus ou moins larges, fines ou plus grosses,
de quelques sols à 1 livre l’aune, pour le courant, mais aussi
du Binche, de l’Alençon ou des Valenciennes ou dentelles
d’Angleterre. Le 29 mars 1774 « achetté une coiffure, des
manchettes, une palatine , une garniture de dentelle de
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poste », geste osé, lorsqu’elle prend la turgotine pour aller Binche pour 154 livres 4 sols », de l’Alençon le 23 mai 1780
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à Paris. En 1775, elle commande à Bourges un métrage de « acheté deux manchettes en Alençon pour 48 livres »,
soie « J’ai fait venir de Lyon 15 aunes de taffetas abricot à « payé à Mademoiselle Valentin manchettes de dentelles
8 livres l’aune pour 124 livres et payé une aune et demy de qu’elle m’a fait ». Les dentelles de Chantilly n’existent pas
taffetas à 6 livres 12 sols » que la couturière Mademoiselle dans les achats, de Madame de Champgrand ou tout au
Loquet travaille pour exécuter une lévite dont la façon est de moins ne sont pas désignées comme telles et pourtant la
88 livres. Ce qui fera une toilette d’environ 200 livres, somme Chantilly existe bien à cette époque, mise à la mode par
l’épouse de Louis XV, Marie Lesczynska… Et ce sont les
importante si l’on sait que son intendante Catherine Guerre Blondes qui ont sa préférence et plusieurs fois au mois,
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vend un cheval de 4 ans pour 100 livres et que le manouvrier à Paris ou à Bourges, au long des années, c’est le règne des
gagne de 50 sols à une livre par jour. Les robes les plus prisées Blondes, plus ou moins étroites et si courantes que souvent
et renouvelées chaque année sont la lévite et la polonaise se la narratrice ne donne pas leur utilisation. Toutefois, on les
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déclinant en nombreuses versions, sachant que la polonaise retrouve désignées pour des manchettes, des baigneuses,
du matin n’est pas celle de l’après-midi, forcément en soie. des coiffures ou encore des bonnets de nuit. Les prix des
Bien entendu, ses toilettes vont de pair avec nombreux Blondes sont très divers, allant de quelques sols l’aune à
jupons, caraccos, pets-en-l’air, canezous, deshabillés, une livre. Au début de l’année 1773, elle achète « 4 aunes
parfums, eau de Cologne, « poudre à poudrer » et « rouge de blonde à 6 sols l’aune » et le 27 juin « payé à Madame de
de chez Dulac » ainsi que la dernière nouveauté utilisée à Marcilly un pot de rouge à 3 sols et une coiffure en blonde
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la cour « Le trésor de la Bouche ». Les mules, bas de soie pour 23 livres ». Les Blondes sont les dentelles introduites
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et mouchoirs représentent à eux seuls des dépenses par Rose Bertin couturière préférée de la reine Marie
importantes. Mais pour Madame de Champgrand, pas Antoinette qui souhaitait plus de légèreté dans les parures.
de plumes à la coiffure comme à Versailles, pas de poufs La Blonde est une dentelle au fuseau de fil de soie, exécutée
créés par Rose Bertin , mais d’innombrables baigneuses, en Normandie et souvent dans la région du Puy-en-Velay
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coiffures, bonnets beaucoup plus sages et toujours ornés de couleur grège, non teintée, douce, arachnéenne, mous-
de den telles. En province, une veuve de l’aristocratie seuse, que l’on peut facilement froncer en engageantes
reste sous l’œil vigilant de la parentèle. La seule folie autour des manches ou des décolletés et dont l’intérêt
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qui transparaît dans les comptes de la narratrice, outre va durer jusqu’à la fin du XIX siècle. Encadrant joliment
la soie omniprésente, ce sont les gazes et les dentelles, les visages, c’est la dentelle à la mode et Madame de
particulièrement les Blondes. Champgrand en fait son ordinaire pendant trente ans,
sauf en 1792 et 1793, années de la Révolution les plus
8 - La turgotine est une berline de voyage confortable préconisée
par Turgot. 13 - Engageante : volant froncé au bas de la manche d’une robe qui
9 - Lévite, robe volante créée par Rose Bertin à l’occasion de la gros- s’arrête au coude.
sesse de la reine. 14 - La barbe est une pièce de broderie ou dentelle arrondie vers le
10 - Polonaise : robe en trois parties à l’arrière créée à l’époque de la bas qui pend de chaque côté de la coiffe. Les deux pans sont parfois
partition de la Pologne. remontés au-dessus de la coiffe ;
11 - Henri II avait mis le port des bas à la mode. Aucune fabrique n’existant 15 - Palatine : petite cape mise à la mode par la princesse Charlotte
à Bourges, Madame de Champgrand fait venir les siens de Moulins-sur- Elisabeth de Bavière fille de l’Électeur Palatin.
Allier où deux fabriques existaient fin XVIIIe, ou bien encore de Paris. 16 - Blonde : dentelle de soie mèche non tordue pour les motifs et d’un
12 - Rose Bertin : couturière et créatrice de coiffures de la reine seul brin de fil de soie pour le réseau.
Marie-Antoinette. 17 - Rose Bertin native d’Abbeville, 2/07/1747 – 21/09/1804.
4 La Dentelle N° 163 - Octobre-Novembre-Décembre 2020