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redoutables pour l’aristocratie où l’intérêt se porte tout de la narratrice, outre la soie omni présente, ce sont
à fait ailleurs. La Blonde, dentelle au fuseau sans doute bien les gazes et les dentelles, particulièrement les
plus rapide à réaliser que d’autres est exécutée avec un fil Blondes.
de soie mèche non tordu monté sur le meneur pour les Madame de Champgrand prend également un
motifs traités en grille, alors que l’autre fuseau de la paire grand soin du vestiaire de son fils, jeune aristocrate
est monté avec un fil de soie très fin, ce qui donne des provincial qui devient Mousquetaire à la Compagnie
motifs floraux de mats denses ressortant sur un réseau à de Louis XVI et ensuite de Monsieur, frère du roi, C’est
fond clair à un brin de soie, si léger qu’il renforce l’effet des souvent son vestiaire qui est le plus conséquent, car tout
motifs. La Blonde n’a jamais été la dentelle la plus chère, est fait pour qu’il tienne son rang. En 1773 la dépense de
mais de grandes longueurs sont nécessaires pour la faire son vestiaire s’élève à 785 livres et pour sa mère 709 livres,
mousser en volants froncés. Sa teinte habituelle est celle et en 1780, il dépense 800 livres, sa mère 359 L 72 sols,
de la soie au naturel, toutefois dans ce livre de comptes sommes importantes si l’on sait que l’intendante achetait
sont mentionnés de nombreux mémoires de teinture en un cheval de quatre ans 100 livres. Ce jeune aristocrate
noir « payé pour avoir fait teindre des Blondes et une robe possède outre son uniforme, une élégante garde robe
en noir pour 1 livre 40 sols ». Faut-il en conclure que la lui permettant de briller dans les salons parisiens et les
Blonde noire n’existait pas à ce moment-là, car si elle avait dentelles ne manquent pas. Certains vêtements sont
existé Madame de Champgrand pouvait financièrement pratiques puisqu’il circule souvent à cheval, d’autres plus
la faire venir d’ailleurs. (Il est difficile de savoir ce qu’était raffinées, comme un habit de soie vert pomme coûtant
une Blonde du XVIII et la vue qui accompagne cet article 103 livres, ou un habit de nankin, mais des manchettes
e
date du XIX siècle). accompagnent toutes ses tenues et le plus souvent elles
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Les achats de dentelle en Point de Toulouse qui se sont en dentelle de Valenciennes.
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répètent sont les plus étonnants : le 30 octobre « achetté
une coiffure en Point de Toulouse… fait 9 livres ». Pour les Réflexions sur le vestiaire de Madame de
spécialistes de la dentelle, cette dénomination reste une Champgrand
énigme et un sujet de recherche. Dans la bibliographie La folie des dentelles bat son plein pour les vêtements
dentellière importante de la fin du XIXe, le Point de Tou- féminins et masculins avant le règne de la simplicité
louse n’existe pas. Madame de Champgrand offrant au apportée momentanément par la Révolution,
1 janvier 1773 « des aiguilles d’or à ses nièces pour faire
er
du Point de Toulouse », il ne peut s’agir par déduction que Madame de Champgrand, aristocrate provinciale, suit la
d’une dentelle à l’aiguille, mais aucune tradition n’existe mode mais sagement et opte pour la féminité avec les
à Toulouse pour ce type de dentelle. Les dentellières de lévites, polonaises et les Blondes,
Toulouse le confirment. Pourrait-il s’agir d’une dentelle L’aristocratie de province connaît parfaitement les den-
espagnole importée par les marchands toulousains et telles de toutes natures et les commerçants locaux savent
revendue dans le royaume et dont les marchands locaux s’approvisionner en tissus et dentelles,
de Bourges associaient le nom à sa provenance ? Aucun Le Point de Toulouse, nouveauté apparue dans ce livre, qui
renseignement particulier n’étant indiqué dans le livre de serait une dentelle à l’aiguille, est un élément qui pique la
comptes, voici une énigme dentellière non résolue pour curiosité, devrait être un objet de recherches.
le moment, soulevée par le livre de comptes.
Métrages de blondes étroites, XIX siècle.
e
Bien entendu, ses toilettes vont de pair avec nombreux
jupons, caraccos, pets-en-l’air, canezous, deshabillés,
parfums, eau de Cologne, « poudre à poudrer » et « rouge
de chez Dulac » ainsi que la dernière nouveauté utilisée
à la cour « Le trésor de la Bouche », mais pour Madame
de Champgrand, pas de plumes à la coiffure comme
à Versailles, pas de poufs créés par Rose Bertin , mais
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d’innombrables baigneuses, coiffures, bonnets beaucoup
plus sages et toujours ornés de den telles. En province,
une veuve de l’aristocratie reste sous l’œil vigilant de la
parentèle. La seule folie qui transparaît dans les comptes
18 - Le mot Point est un terme général pour toutes les dentelles et
désigne plutôt ensuite la seule dentelle à l’aiguille.
19 - Rose Bertin : couturière et créatrice de coiffures de la reine
Marie-Antoinette.
La Dentelle
N° 163 - Octobre-Novembre-Décembre 2020 5