Page 3 - adurandmai2018
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Quel est le facteur X ?
Dans les lignes ci-dessus, je mets en perspective l’état psycho- logique et personnel de Picasso avec la succession d’événements historiques qui aboutissent au mas- sacre de Guernica puis à la création du tableau. Tout semble s’emboîter parfaitement. De véritables pou- pées gigognes. C’est globalement la synthèse, évidemment succincte, que l’on retrouve dans les di érents ouvrages que j’ai pu compulser. Tous, sauf deux : Picasso : le regard du Minotaure, 1881-1937 (Sophie Chauveau) et plus explicite encore, Eluard et ses amis peintres (Centre Georges Pompidou).
Femme en vert 1909, Pablo Picasso source : Jean-Louis Mazières
Novembre 1936
Regardez travailler les bâtisseurs des ruines
Ils sont riches patients ordonnés noirs et bêtes
Mais ils font de leur mieux pour être seuls sur terre
Ils sont au bord de l’homme et le comblent d’ordures
Ils plient au ras du sol des palais sans cervelle On s’habitue à tout
Sauf à ces oiseaux de plomb
Sauf à leur haine de ce qui brille
Sauf à leur céder la place...
C’est le réveil rageur. Dès les premiers jours de janvier 1937, Picasso écrit son poème « Sueno y mentira de Franco » (Rêve et mensonge de Franco) qu’il accompagne d’une bande dessinée dont il réalise en quelques jours les 14 premières scènes.
A la période qui nous intéresse, nous savons que Picasso a che un cynisme absolu vis-à-vis de ses compatriotes espagnols, sa propre famille. Il est dans « sa bulle » : égoïste, coléreux, injuste. Bref, détestable. Le personnage est coriace. Avec cet état d’esprit, le carnage de Guernica aurait-il déclenché la réalisation du tableau ? Peu probable.
Dans les années qui suivirent, Picasso comprit le potentiel de Guernica. Dès 1939, par la résonance internationale qu’avait l’œuvre, il fût surveillé de très près par les Nazis. Petite anecdote croustillante lors d’une visite dans son atelier parisien de l’ambassadeur nazi Otto Abetz accompagné d’o ciers allemands. Ils s’attardent sur une photo du tableau puis l’ambassadeur s’adresse à Picasso :
C’est un poème, et oui, un simple poème de Paul Eluard, publié le 17 novembre 36 dans l’Humanité, qui bouleverse Picasso. Comme l’exprime si bien Sophie Chauveau : « La poésie d’Eluard touche Picasso à l’endroit où ils sont frères. Dans une langue immédiate, sensible et sensuelle ». Donner du sens par le pouvoir des mots.
« Non, la peinture n’est pas faite pour décorer les appartements. C’est un instrument de guerre o ensive et défensive contre l’ennemi » Pablo Picasso – 1945
C’est le tournant qui conduira Picasso à Guernica. Lui qui signe et date avec un soin méticuleux tout ce qu’il produit, y compris la moindre de ses esquisses, refusera toujours de la signer : « allégorie réelle de la guerre, elle doit témoigner pour toutes ».
L’héritage de Guernica
« C’est vous qui avez fait ça ? Non, c’est vous ! »
A la victoire de Franco en 1939, le tableau est transféré à New-York. Après maintes polémiques, il intègre le Prado 41 ans plus tard, bien après la mort de Picasso. Mais ceci est une autre histoire...
Pour en savoir plus...
Picasso : le regard du Minotaure, 1881 – 1937 (Sophie Chauveau) De Picasso à Guernica, généalogie d’un tableau (Jean-Louis Ferrier) Guernica, histoire secrète d’un tableau (Germain Latour)
Paul Eluard et ses amis peintres (Centre Georges Pompidou)


































































































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