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RENCONTRE
Les histoires qui ne se racontent plus s’oublient. En 1986, à l’initiative de simples citoyens, se crée le « Comité de défense SOS Loire Vivante » contre
un projet titanesque visant à contrôler le flux du plus long fleuve de France, qui prévoyait notamment la construction d’un barrage à Serre de la Fare, en Haute- Loire. En 1991, le chantier est abandonné et en 1994, le comité réussit à imposer sa proposition alternative d’aménagement moins destructeur pour l’environne- ment. Trente ans après, un documentaire en bande dessinée célèbre ce combat.
Alain Bujak est photographe. Originaire de Saint- Étienne, il a grandi à Clermont-Ferrand et connaît bien ce paysage sauvage aux sources de la Loire. Dans cette BD-documentaire composée à la manière d’« un livre de rencontres » en collaboration avec le dessinateur- reporter Damien Roudeau, la mobilisation devient un modèle de résistance citoyenne qui ouvre à nouveau le chemin des possibles.
Rebelle-Santé :
« Serre de la Fare, ce nom ne dit rien à la plupart d’entre nous », écrivez-vous en introduction. Qu’est-ce qui vous a poussé à raconter cette histoire ?
Alain Bujak :
Je me suis installé il y a une trentaine d’années à Dreux, mais l’Auvergne et le Massif Central sont les régions de mon enfance et je m’y sens chez moi. J’aime traverser ces paysages de moyenne montagne à vélo. En 2007, Ouest-France m’avait commandé un livre de photographies pour lequel j’ai redescendu la Loire du Mont Gerbier-de-Jonc jusqu’à l’estuaire. Je ne savais rien à cette époque de ce combat contre le pro- jet de Barrage de Serre de la Fare avant de rencontrer Roberto Epple, le président de « SOS Loire Vivante » à cette occasion. Roberto avait été envoyé par le WWF en 1989. Il s’est depuis installé dans la région où il poursuit ses combats pour la protection des fleuves et des rivières. J’ai tout de suite su qu’il faudrait raconter cette histoire. Trente ans après, « à la lisière entre la mémoire et l’oubli », avant que le souvenir ne s’es- tompe et disparaisse définitivement, c’est important que ça ressorte.
C’est le récit d’une victoire : le barrage n’a pas été construit et les paysages naturels ont pu être préservés. Comment expliquez-vous cet oubli ?
Sur ce territoire autour du Puy-en-Velay, on est loin de tout et je pense que la méconnaissance tient d’abord du lieu et du caractère des gens. Dans ce petit bout de vallée, personne n’est à l’affût des projecteurs médiatiques. Sans doute aussi que dans la mémoire collective, le Larzac a éclipsé ce type d’initiative, en
Alain Bujak
s’imposant comme un symbole des luttes écologiques mais en polarisant également l’attention et les débats sur des terrains en définitive plus politiques. Ce qui m’a tout de suite plu avec « SOS Loire Vivante », c’est qu’à l’origine du Comité, ce sont des citoyens lambda qui se sont rassemblés, alertés par Jacques Adam, un militant des Amis de la Terre qui a vite compris qu’il fallait se mobiliser avant que le chantier ne commence.
Concrètement, comment avez-vous procédé pour réaliser ce documentaire ?
Modestement, je me considère comme un auteur au service d’une histoire. Quand une histoire comme celle-ci me touche ou m’interpelle, ça fait toujours sens pour moi de la raconter, car c’est un récit qui participe d’une réflexion collective. J’ai toujours été un curieux de nature. Si quelque chose commence à me trotter dans la tête, il faut que j’aille voir, qu’on m’explique. J’ai besoin de parler aux gens, de com- prendre leurs motivations, de me rendre compte de leur courage et de leur détermination. Je stocke mes notes dans mes carnets, je ne fais jamais d’enregis- trement, et dès que j’ai suffisamment d’éléments, je construis mon récit. Pour rassembler cette matière, il faut aussi prendre le temps de tisser des liens. Sur les huit dernières années, je suis retourné une bonne dizaine de fois sur le terrain pour repérer les paysages, pour traîner dans les fermes et discuter, rencontrer de nouvelles personnes. Chaque conversation amène au fur et à mesure un nouveau niveau de compréhension. Il y a Roberto Epple et Martin Arnould, Jérôme Leyre le sculpteur ou Jean-Claude Masseboeuf, le dernier paysan. Et puis aussi le couple René et Denise. Mo- bilisés aux premières heures, ils ont archivé tous les
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