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    RENCONTRE
 documents autour de cette affaire. L’idée n’a jamais été de retracer un historique du combat, mais plutôt de proposer un livre de rencontres, un récit qui passe d’une personne à une autre, où par les détails et les points de vue on pénètre dans le concret de l’histoire. Comprendre le monde à travers le récit des autres, je trouve que ça fonctionne bien.
Vous considérez cette lutte comme « un modèle de résistance citoyenne ». Pourquoi ?
Le plus exemplaire de cette histoire, c’est sans doute le choix de la non-violence, mais aussi la volonté d’être force de propositions. On peut tous être contre, mais on ne peut pas se limiter à dire non pour dire non. Les crues de la Loire étaient dévastatrices. Les inondations en 1980 ont fait 8 morts et des dégâts considérables. Ce barrage venait répondre à une problématique que personne ne pouvait ignorer. Le Comité est un mo- dèle, car ces simples citoyens ont eu l’intelligence non seulement de rejeter le projet de barrage, mais aussi de proposer un autre aménagement. Le plus intéres- sant se situe dans le récit de ce cheminement, cette persévérance pour d’abord élaborer cette « quatrième solution », pour qu’elle puisse ensuite être simplement entendue, et enfin adoptée.
Vous montrez qu’une ONG comme WWF a joué un grand rôle dans la victoire de cette mobilisation locale, en quoi ce soutien a-t-il été déterminant ?
La mobilisation locale a été spontanée et c’est ce que je trouve formidable. D’un seul coup, des citoyens se fédèrent contre le barrage pour s’opposer à un projet qui prévoyait de tout foutre en l’air. Mais les intérêts en jeu divisaient également la population locale et très vite ces « Indiens » se sont confrontés à la limite des moyens à leur disposition pour faire opposition. Non
préparés, ils redoutaient d’avoir à affronter les forces de l’ordre. Quand Roberto Epple a été envoyé par le WWF, il est devenu en quelque sorte le chef d’or- chestre pour diriger ce combat sur tous les fronts : juri- dique, médiatique et scientifique. Le WWF a envoyé une biologiste, Christine Jean, qui a pu faire une étude très sérieuse sur la biodiversité de ce milieu naturel. Avec ses expériences de luttes menées ailleurs comme en Allemagne, l’ONG a structuré le combat et le Co- mité a pu ainsi peser dans la balance électorale locale.
« La nature n’a pas à contrarier le progrès ». Jean Royer, le maire de Tours, qui dirigeait l’EPALA (Établissement Public d’Aménagement de la
Loire et de ses Affluents) incarne le discours qui vantait alors le projet de barrage au nom du développement économique du territoire, mais au détriment de la conservation environnementale. Est-ce la dimension politique de ce combat ?
Justement, je crois que la mobilisation de « SOS Loire Vivante » est plus citoyenne que politique dans le sens où même si je suis sans doute trop naïf, j’espère que, sans émettre de jugement politique, en nourrissant sérieusement la réflexion collective, on peut réaliser quelque chose de bien pensé, qui relève du bon sens. Il reste toutefois nécessaire de changer notre rapport de domination à la nature : cette injonction qui nous amène à considérer la nature, soit pour l’exploitation de ses ressources, soit pour les activités de loisirs. C’est une impasse. La nature réagit à ce qu’on lui fait subir, et il est nécessaire de réfléchir collectivement à comment restaurer la biodiversité et s’adapter au changement climatique. Sur le chemin de ce livre, je suis rentré en contact avec Camille de Toledo, qui travaille actuellement sur le projet du Parlement de Loire afin qu’une forêt, un fleuve, soient considérés juridiquement comme une véritable personne. C’est
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