Page 43 - Rebelle-Santé n° 218
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CULTURE ET SANTÉ
Lili Sohn est dessinatrice. En 2014, la jeune femme n’a que 29 ans quand elle apprend qu’elle est atteinte d’un cancer du sein. Elle ouvre un blog pour raconter l’expérience de sa maladie et tous les bouleversements qu’elle implique, non seulement physiquement, mais mentalement et socialement. Lili aujourd’hui est guérie et écrit des BDs de vulgarisation féministe. Le dernier : « Mamas, le petit précis de déconstruction de l’instinct maternel », vient de sortir.
«Je viens de me faire diagnostiquer un cancer du sein, ça pue du cul » constate Lili Sohn sans détour, dans les premières pages de La
guerre des tétons, une série en 3 volumes, à l’origine publiée sur le blog de la dessinatrice qui ren- dait compte au jour le jour de sa maladie, des traite- ments, des angoisses et des questionnements qu’elle suscite.
Installée à Montréal depuis 2009, la jeune graphiste d’origine alsacienne repère une anomalie sur ton té- ton droit en 2014. La mammographie lui confirme la présence d’une tumeur de la taille « d’une balle de ping-pong », qu’elle surnomme rapidement « Gun- ther » et qu’elle dessine sous la forme d’un méchant nuage vert.
Dans la foulée, elle ouvre un blog tchaogunther.com, dans lequel elle raconte son combat, des phases de déni à la prise en charge médicale, avec esprit de syn- thèse et autodérision. Elle construit ainsi à partir de ce témoignage concret un discours de vulgarisation joyeu- sement efficace et sans tabou dans lequel elle se met en scène avec beaucoup de franchise et d’humour. Elle explique : « En faisant mes premiers dessins sur le blog, je ne pensais pas du tout être éditée. C’était d’abord pour moi une manière de m’aider à comprendre et de raconter à mes proches ce qui m’arrivait. Le blog faisait entièrement partie de ma thérapie. Du jour au lendemain, je me suis retrouvée avec cette maladie terrifiante, confrontée à un jargon et un milieu médi- cal que je ne connaissais pas. Je devais comprendre ce qui se passait dans mon corps, avoir conscience des implications des traitements que je suivais. À l'hôpital, les médecins se moquent souvent de savoir si tu com- prends, pour moi c’était important que tout le monde ait accès à l’information. Peu à peu, je me suis rendu compte surtout que j’aimais ça, vulgariser, raconter aux gens, chercher et prendre des notes ».
Sur son blog, elle déclare vouloir « transformer le caca en paillettes ». Comme une magicienne avec ses che- veux violets et ses lunettes roses, en dédramatisant
la maladie, elle sait surtout éclairer son quotidien comme son journal intime, en montrant l’importance des à-côtés : le soutien de ses proches, les leggings flashy qu’elle se choisit pour chaque chimio, l’orga- nisation de l’enterrement de vie des cheveux avec ses copines, la méditation, ou encore l’acupuncture pour faire face à sa phobie des piqûres.
Remède contre la pitié et l’accablement, elle laisse éclater sa soif de vie et son besoin d’énergie cosmique dans des effusions d’amour au kitsch assumé. Sur le ton de la confidence, elle possède surtout cet art d’ins- taller son lecteur avec une bienveillance qui désarme- rait les plus grincheux.
Rebelle-Santé N° 218 43
© Marie Pacifique Zeltner