Page 44 - Rebelle-Santé n° 218
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CULTURE ET SANTÉ
DU CANCER DU SEIN AU FÉMINISME
Lili Sohn n’est pas la première à ouvrir un blog de vulgarisation, ni même à aborder la question du cancer en BD, citons par exemple Betty Boob, un album sous la forme d’une comédie musicale signée par Véro Cazot et Julie Rocheleau, ou encore L’année du crabe d’Alice Baguet.
Naïf et très schématique, le style de Lili évolue, il s’anime désormais du détournement de gravures anciennes que l’artiste pioche dans une collection de vieux livres d’images libres de droit qu’elle a dégotés au Canada. Par des procédés simples, la lecture se fait entraînante. Les couleurs ajoutent la fantaisie d’une mise en page structurée méthodiquement et ponctuée par l’humour et la trivialité des dialogues. « J’aborde des sujets difficiles, des tabous, autant le cancer que le corps de la femme. Il faut faire passer la pilule avec du pétillant, du rigolo et surtout aller droit au but. » commente-t-elle.
Dans les trois tomes qui composent La guerre des tétons, on suit les opérations, les cycles de chimiothérapie et la radiothérapie, la découverte de sa double mutation génétique, l’ablation de son sein et la question des prothèses. Le miracle tient de l’impression d’une conversation presque légère et anodine sur un tel sujet.
Pourtant Lili scrute tous les effets secondaires et ne s’arrête pas aux questions médicales. Elle s’aventure sur le terrain social de l’identité alors qu’à l’aube de la
trentaine, ce cancer la confronte à des problématiques intimes, ébranle ses certitudes face à sa condition de femme et l’engage sur la voie du féminisme. « Est-ce qu’on ampute ma féminité si on touche à mes seins ? » Une simple question déclenche des raisonnements en cascades que Lili transcrit dans un style synthétique, se projetant elle-même comme un objet d’études. « Avant le cancer, j’avais la conscience féministe modérée d’une femme occidentale blanche et instruite, issue d’un milieu plutôt aisé : j’étais confite dans mes privilèges. Se retrouver en position de malade m’a fait brutalement sortir de mon moule et obligée à tout remettre en perspective. J’ai pris conscience de la réalité des normes sociales à partir de ce moment- là : les injonctions sur la femme, sur son corps, les assignations sociales de la mère, de la conjointe... », témoigne-t-elle.
Une question en amenant une autre, à Marseille où elle habite désormais, à 35 ans Lili poursuit l’aventure vulgarisatrice. Après l’énergisant Vagin tonic publié l’an dernier, dans lequel elle servait un cocktail explosif sur les idées reçues autour de l’identité féminine et du corps de la femme, elle confronte, dans Mamas, son désir d’enfant et ses convictions féministes. Un livre en amenant un autre, elle planche désormais sur la question de la pilosité féminine. « Après La guerre des tétons, dans Vagin tonic, j’ai voulu construire mon opinion à partir de mes propres questionnements autour de la femme, en décortiquant les codes du genre. Je me suis mise à lire de plus en plus d’essais féministes, je continue d’ailleurs encore
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