Page 27 - Rebelle-Santé n° 219
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Le réveil continuait à sonner tôt le matin et Camille se demandait à chaque fois comment elle allait tenir jusqu’au soir: «Mon état de fatigue était de plus en plus trou- blant, mon entourage me regardait avec inquiétude, pitié et incompré- hension. »
À 45 ans, elle encaissait, avec dif- ficulté, les conséquences du chan- gement hormonal. Elle n’acceptait pas de se sentir coincée dans un corps de femme de 45 ans, avec un esprit de jeunette de 25 ans, passionnée de liberté, de soli- tude, de fugue. Elle devait assumer cette nouvelle condition, celle de femme mûre.
L’AVIS DU MÉDECIN
Le médecin de Camille lui a pres- crit des antidépresseurs. Comme les résultats de sa prise de sang étaient normaux, son mal-être a été mis sur le compte de l’approche de la cinquantaine. Mais devait-elle vraiment prendre ces médicaments pour continuer à habiter son corps ? À s’occuper de sa fille en demande de tellement d’énergie, d’attention, de patience ? En rentrant du travail, Camille avait besoin de calme, de silence, de solitude, dans un espace à elle... Est-ce que les anti- dépresseurs la rendraient plus dis- ponible pour les autres ? Elle voyait que la plupart des gens dédiaient leur énergie et leur temps à accom- plir leurs «rôles», dans une bana- lité inouïe, tout en restant polis, disponibles, dociles, soumis à la hiérarchie. Devait-elle parvenir à faire de même?
Les médicaments pouvaient l’aider à perdre sa propre dignité, à faire semblant, à vouer sa vie à des oc- cupations et des préoccupations qui ne lui convenaient pas, ou plus. Alors elle a réfléchi.
LA COLÈRE ET... LA RÉVÉLATION
En réfléchissant, elle a constaté qu’elle était en colère, profondé- ment. Son corps, son existence
étaient en colère. La révélation de cette colère l’a secouée. Elle a enfin ouvert les yeux. Elle était incapable de continuer à mener une double vie : « Car mes croyances, mes pen- sées, mes idéaux étaient farouche- ment opposés au credo que j’étais obligée d’avaler sur mon lieu de travail. J’avais besoin de m’entou- rer de gens bienveillants, de gens modestes, éloignés de la fureur ma- térialiste, arriviste. De personnes éloignées de l’aveuglement pervers de la société de consommation, égocentrique, imprégnée d’indiffé- rence, de suffisance. J’avais besoin de profiter de mon enfant, de mon compagnon, de mes ami.es. En fait c’était mon âme qui était malade, je sentais un détachement profond, corporel, cosmique... des autres.» Elle avait besoin de se retrouver, de récupérer sa dignité.
UNE DÉCOUVERTE ET LA FORCE D’AGIR
Comme par hasard, Camille avait découvert, à ce moment de sa vie, la philosophe Simone Weill. La lec- ture de ses textes a été un vrai coup de fouet: «Il y a des gens qui n’ont vécu que de sensations et pour les sensations... Ils sont en réalité les dupes de la vie et comme ils le sen- tent confusément, ils tombent tou- jours dans une profonde tristesse où il ne leur reste d’autre ressource que de s’étourdir en se mentant misérablement à eux-mêmes. Car la réalité de la vie, ce n’est pas la sensation, c’est l’activité – j’en- tends l’activité et dans la pensée et dans l’action. » écrivait-elle.
Camille, en lisant Simone Weill, a réalisé qu’en effectuant sans rechi- gner un boulot «propre et digne», elle se coupait de sa vraie vie : « J’ai raté tellement de belles choses, de promenades, de pique-niques, de couchers de soleil, de spectacles d’école, de repas en famille, entre amis, de concerts d’été, de séances de ciné, de conférences... Mais surtout, j’étais privée de ma per- sonne,delajoiedemesentirforte
dans ma solitude, de savourer ma joie de vivre, de décider par moi- même, d’avoir la possibilité de me lever tard, de ne pas me coiffer, de prendre le petit déjeuner au lit, de dévorer des livres jusqu’à l’aube, de me réfugier enfin à la campagne, de retourner à mon enfance, à mes souvenirs et à mes êtres chers...»
Depuis fin juin, elle n’est plus assistante de direction dans une grande entreprise. L’amour et la solidarité qu’elle partage avec ses proches l’ont aidée à prendre cette décision : « Pour la première fois, je toucherai les allocations chômage pendant quelque temps. Qui sait, peut-être que je tomberai dans le piège d’un travail "excitant" d’ici quelques mois, mais ça m’étonne- rait. De toute façon, j’aurai toujours besoin d’un salaire, d’une sécurité. Mais je serai plus vigilante main- tenant, pour trouver un emploi en cohérence avec mes idées.»
AGIR POUR VIVRE
Camille me raconte, avec un grand sourire dans les yeux, que, depuis fin juin, elle est « comblée avec des choses simples». Depuis qu’elle a trouvé la force d’agir, de vivre, elle a retrouvé le sommeil. Elle dort, car elle a commencé à prendre contact avec la vie réelle.
Maintenant, elle se prépare à agir, dans la mesure de ses possibilités et de ses capacités, pour le bon- heur collectif, pour la planète qui l’héberge : « Je vais faire aboutir des projets et arrêter d’être une simple contemplatrice ». Mais d’abord, elle va se perdre dans les Pyré- nées : « Je vais me promener, réflé- chir, me réjouir en silence. La vie passe. Je ne peux plus consentir à ce gaspillage de mon être.»
Elle a raison. La vie passe... Ne la ratons pas... Je vous souhaite une belle rentrée avec la beauté des choses simples...
Pınar Rebelle-Santé N° 219 27
LA CHRONIQUE DE PINAR


































































































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