Page 7 - Rebelle-Santé n° 197 - Extrait "La Phagothérapie"
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Rebelle-Santé N° 197	15
Propos recueillis par Lucie Servin
pas non plus les techniques dont nous disposons au- jourd’hui. Les premières préparations de phages, en l’absence de réglementation, dans les années 1930, aux États-Unis, par exemple, ont conduit à mettre sur le marché des produits peu ou pas du tout efficaces, si bien que, quand les antibiotiques sont arrivés, l’empi- risme sur lequel s’appuyait l’usage des phages a dis- crédité la phagothérapie.
Cependant, la phagothérapie a survécu en France et il existait encore, dans les années 1980, dans les Ins- tituts Pasteur de Paris et de Lyon (ce dernier a disparu aujourd’hui), des collections de phages, « des phago- thèques ». On pouvait commander auprès de ces la- boratoires des préparations de phages thérapeutiques. C’est ainsi que j’ai été initié, car je m’intéressais aux infections ostéo-articulaires qui réagissaient mal à l’antibiothérapie.
Seulement, dès le tournant des années 1990-95, les demandes en phages pour traitement ont beaucoup di- minué face au succès de l’antibiothérapie, si bien que, quand ceux qui s’occupaient de cultiver les phages dans les Instituts ont pris leur retraite, les laboratoires ont été fermés purement et simplement, en considé- rant la pratique obsolète. Les phagothèques – qu’il faudra reconstituer aujourd’hui – ont alors été jetées à la poubelle. Ce mouvement d’abandon ne concerne d’ailleurs pas seulement la France, mais tous les pays occidentaux (Europe et États-Unis), seuls les pays si- tués à l’est de l’ancien rideau de fer ont continué à produire des phages thérapeutiques, ce qui explique qu’on en trouve encore aujourd’hui en Russie, en Géorgie et en Pologne. Or, à peine dix ans plus tard, dans les années 2000, la résistance aux antibiotiques est devenue problématique, on a vu arriver les bacté- ries multi-résistantes (BMR) et même hyper-résistantes, ce qui explique aujourd’hui ce renouveau d’intérêt pour la phagothérapie dans notre pays.
Que peuvent les phages contre ces bactéries multi-résistantes (BMR)?
Les infections à BMR représentent ce que j’appelle des impasses thérapeutiques, car, malgré le développe- ment de nouveaux antibiotiques, on ne parvient plus à traiter certaines infections. Face à ce phénomène, des collègues qui connaissaient mon expérience sur la thérapeutique par les phages sont venus me voir dès le début des années 2000. J’avais repris dans mon laboratoire des recherches sur les phages, avec des préparations achetées en Russie, et je m’étais surtout concentré sur les phages spécifiques des staphylo- coques, car les préparations dont je disposais étaient particulièrement efficaces dans plus de 90 ou 95 % des cas sur les souches qu’on trouvait dans les hôpi- taux français.
Un jour, un collègue ORL m’a présenté une de ses pa- tientes, une jeune fille qui souffrait d’une otite externe
très douloureuse à staphylocoques dorés. Il était très inquiet, car il n’arrivait pas à traiter cette infection au point qu’il fallait endormir la patiente pour l’examiner. Après un rendez-vous, elle a accepté un traitement par des phages. Je lui ai prescrit la préparation russe en gouttes à appliquer matin et soir et, en 48 heures, elle ne souffrait plus.
Cette épreuve quasi expérimentale ne m’a rien appris de ce que je savais déjà, mais m’a conforté dans la nécessité de poursuivre dans cette voie.
La phagothérapie offre-t-elle une alternative à l’antibiothérapie ?
Je n’aime pas trop le mot « alternative », la phagothé- rapie n’est ni une solution miracle, ni un substitut aux antibiotiques, je préfère l’envisager comme une solu- tion complémentaire. On a montré très tôt, en 1945- 46, que si on mettait des petites doses de pénicilline en présence de phages, la synergie multipliait l’efficacité sur le staphylocoque. Cette complémentarité peut ins- pirer de nouvelles stratégies, de même que les phages peuvent probablement ralentir les phénomènes de ré- sistance aux antibiotiques. Ils peuvent aussi permettre de réutiliser des antibiotiques anciens qui étaient de- venus inefficaces en récupérant une activité vis-à-vis de certaines bactéries devenues résistantes.
Mais il ne faudrait pas reproduire, avec les phages, les mêmes erreurs qu’avec les antibiotiques, et de même que c’était une erreur d’abandonner complètement les phages dans les années 1990, il ne faudrait pas maintenant abandonner les antibiotiques, mais éla- borer de nouvelles stratégies qui supposent aussi un changement de paradigme dans la conception de la médecine.
Si on a abandonné la phagothérapie, c’était surtout parce que les antibiotiques étaient plus faciles à fa- briquer et à manipuler, ils se présentaient comme des produits chimiques faciles à doser et concentrés comme sait les produire l’industrie pharmaceutique.
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