Page 9 - Rebelle-Santé n° 197 - Extrait "La Phagothérapie"
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* La phagothérapie, des virus pour combattre les infections, Dr Alain Dublanchet, Éditions Favre. 15 x 23,5 cm - 252 pages - 22 €.
Rebelle-Santé N° 197	17
Propos recueillis par Lucie Servin
ments, s’ils sont mal faits, peuvent être contaminés par toutes sortes de bactéries omniprésentes en nous et autour de nous.
Par ailleurs, nous savons également aujourd’hui qu’il existe deux grandes familles de phages : les phages vi- rulents, majoritaires dans la nature (80 % des phages), qui se reproduisent au sein de la bactérie, au point de la « lyser », c’est-à-dire de la détruire, et les phages dits tempérés ou prophages, qui deviennent partie intégrante du génome de la bactérie quand ils l’in- fectent. Si bien que, lorsque la bactérie est infectée, le phage se multiplie grâce à elle, exprimant éventuel- lement de nouveaux caractères, qui peuvent lui être favorables et permettre ainsi le développement de résistances aux antibiotiques ou une augmentation de la virulence.
Par exemple, le bacille de la diphtérie est un bacille au départ anodin qui contient un prophage, lequel ajoute la toxine dangereuse pour l’homme et respon- sable de la maladie. Cependant, avec les technologies actuelles (biologie moléculaire) et nos connaissances des prophages, il est devenu très simple de déceler les phages de ce type, potentiellement dangereux.
Nos connaissances nous permettent-elles de créer des phages génétiquement modifiés (ogM) ?
Il existe suffisamment de phages naturels pour qu’on n’ait pas besoin d’en créer. De plus, il serait très coû- teux et contraignant de répondre à toutes les normes qui concernent les produits OGM. Il y a aussi un risque élevé concernant l’évolution, car en créant de nouveaux virus, il faut réfléchir au déséquilibre po- tentiel des écosystèmes naturels. Encore une fois, il ne faudrait pas reproduire les erreurs faites avec les antibiotiques : si les bactéries et les champignons fa- briquent des antibiotiques naturels depuis des millions d’années, en les amplifiant et en les améliorant, on a créé des antibiotiques ultra puissants à large spectre, ce qui a abouti aux phénomènes dramatiques de résis- tance bactérienne qui ne sont que la réponse naturelle du vivant.
Quels sont les principaux obstacles à la phagothérapie aujourd’hui et quel sera son avenir ?
Les principaux obstacles à la phagothérapie sont d’ordre structurel, réglementaire et économique. En effet, les phages naturels ne peuvent pas être bre- vetés. Ils n’intéressent donc pas l’industrie pharma- ceutique qui ne désire pas s’engager dans la création de nouvelles phagothèques ni financer les coûts de production et les études expérimentales humaines exi- gées pour avoir éventuellement le droit de commer- cialiser un phage médicament qui, financièrement, ne rapportera rien. Il faut se rendre compte que cela représente des dizaines de millions d’euros, c’est le
même problème économique que pour la création de nouveaux antibiotiques. L’industrie pharmaceu- tique répond à une logique d’argent, avec le meilleur retour possible sur investissement. Elle a donc peu à peu cessé de fabriquer de nouveaux antibiotiques en réalisant que la recherche coûte trop cher, alors qu’un traitement anti-infectieux dure 10 jours chez un patient et qu’il devient très vite inactif sur les bactéries à cause de l’émergence de résistances. La recherche sur les maladies chroniques représente des rentes bien plus intéressantes. Dans ce contexte, les phages ne rapportent rien. C’est, à mon avis, à l’agence du mé- dicament (ANSM) et au ministère public de prendre l’initiative pour une réévaluation de la phagothérapie et sa réintroduction contrôlée.
Mais les phages sont aussi victimes de l’inertie ins- titutionnelle, car ce sont des « bio médicaments », médicaments « intelligents » qui ne répondent pas aux critères stricts qui définissent aujourd’hui les mé- dicaments chimiques « classiques ». Un phage cible une bactérie spécifique et se multiplie à son contact. Il n’est donc pas possible d’établir un traitement comme cela se fait avec une molécule identifiée et mesurable en pharmacologie. Toutefois, les choses évoluent face à la nécessité. Les phages sont déjà utilisés aux États- Unis en prévention de certaines maladies infectieuses, dans l’industrie agroalimentaire, par exemple. On accepte aussi maintenant de soigner les MICI (mala- dies inflammatoires chroniques de l’intestin) comme la maladie de Crohn ou la colite pseudomembraneuse par transfert, chez des patients, d’un microbiote fécal d’un sujet normal qui contient donc des phages.
J’ai bon espoir pour l’avenir de la phagothérapie.
Propos recueillis par Lucie Servin


































































































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