Page 12 - Rebelle-Santé n° 235
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SOCIÉTÉ
  Rebelle-Santé :
Vous avez entrepris La Fabrique des pandémies dès les premiers signaux d’alerte pandémique en menant des entretiens entre mars et juillet 2020 auprès
de nombreux scientifiques. Quelle était votre ambition ?
Marie-Monique Robin :
J’ai d’abord été interpellée par l’article de David Quammen dans le New York Times, intitulé « We made the coronavirus epidemic » qui faisait directement le lien entre les pertes de la biodiversité et ce nouveau virus. Même si je travaille depuis longtemps sur ces questions, ce lien n’est pas évident d’em- blée. Je me suis donc rapprochée de Serge Morand, parasitologue et chercheur du CIRAD (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement) en Thaïlande, qui a rédigé la préface et les enca- drés pédagogiques du livre. Il m’a encouragée à faire une enquête comme celle que j’avais faite pour Le Monde selon Monsanto. D’ha- bitude, je fais mes livres en com- plément d’un film. Le confinement a changé la donne. En menant les entretiens par skype, j’ai pu com- muniquer avec soixante-deux scientifiques, hommes et femmes, venus des cinq continents, qui tra- vaillent dans des disciplines très variées (virologues, médecins, bio- logistes, vétérinaires, épidémiolo- gistes...). Tous se revendiquent de « l’écologie de la santé ». Ils ont en commun de tirer la sonnette d’alarme depuis des décennies et de considérer que la meilleure manière de se prémunir contre les épidémies, c’est la préservation de la biodiversité.
Quel est le lien entre l’épidémie de coronavirus et la perte de biodiversité ?
Même si nous n’avons pas encore identifié l’animal par lequel le virus a été transmis à l’humain, il est établi que la Covid-19 est une
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zoonose, une maladie provoquée par un agent pathogène transmis par la faune sauvage aux humains. Dans le cas du Sars-CoV-2, l’es- pèce réservoir est très proba- blement une chauve-souris. Les doutes subsistent sur l’espèce in- termédiaire ; en général, ce sont des animaux sauvages, comme la civette masquée pour le Sars en 2003, ou des animaux domes- tiques comme le cochon, qui par- tage 95 % de gènes avec nous. Des centaines d’études décrivent ce phénomène. Elles montrent que le premier facteur d’émergence de ces nouveaux virus est la défores- tation qui conduit à la destruction des habitats naturels : en premier lieu, les forêts primaires tropicales d’Afrique, d’Amérique du Sud et d’Asie du Sud-Est, qui concentrent les plus grands foyers de biodiver- sité et donc d’agents pathogènes potentiels.
Or, la destruction de ces forêts ne conduit pas à la destruction de ces agents pathogènes. C’est tout l’inverse qui se produit : les agents pathogènes qui sont hébergés dans des réservoirs animaux, comme les rongeurs, les primates, les chauves- souris et certaines espèces d’oi- seaux, s’adaptent et se diffusent à travers d'autres espèces en faisant émerger de nouvelles maladies. La biodiversité, qui est le pilier d’un écosystème équilibré, maintient l’activité des agents pathogènes à bas bruit. C’est ce que les scienti- fiques appellent « l’effet dilution ».
Comment ça marche ?
Ça peut paraître contre-intuitif au premier abord. Le mécanisme a été mis au jour par un couple de chercheurs américains qui ont tra- vaillé sur la maladie de Lyme, en forte progression aux États-Unis. En effet, la bactérie responsable de cette maladie existe depuis des millénaires. Elle est transmise à l’humain par des tiques infectées. Or, ces chercheurs ont montré que l’espèce réservoir de la Bor- relia burgdorferi était la souris à pattes blanches, une « espèce généraliste » qui se reproduit vite et s’adapte aux environnements les plus dégradés, au détriment d’« espèces spécialistes » qui sont associées à des niches écologiques et disparaissent avec la destruction des écosystèmes.
Lorsque les tiques mordent d’autres espèces que cette souris à pattes blanches, la bactérie ne se trans- met pas : le risque infectieux est dilué, donc réduit. Si, au contraire, on réduit la biodiversité, la souris à pattes blanches prolifère et le risque augmente.
De plus, lorsqu’on fragmente une forêt, les prédateurs sont les pre- miers à partir car ils ont besoin d’espace, ce qui augmente encore les populations de souris à pattes blanches. C’est pourquoi, quand les scientifiques affirment que la biodiversité protège la santé, ce n’est pas une simple vue de l’esprit qui s’appuierait sur le bien-être que
 Si on réduit la biodiversité, la souris à pattes blanches, espèce réservoir de la Borrelia burgdorferi, prolifère et le risque augmente.
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