Page 14 - Rebelle-Santé n° 235
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SOCIÉTÉ
En 1997, les chauves-souris, chassées de Bornéo par la déforestation, ont mangé les mangues de vergers proches des mégafermes de porcs, contaminant les animaux, puis les ouvriers agricoles, puis les employés de l'abattoir...
tous les virus à l’origine de mala- dies zoonotiques comme Ebola, le Sida, la fièvre de Lassa, le Sras de 2003, le Mers-CoV du Moyen- Orient, la grippe H1N1... Ces ma- ladies émergentes ont explosé ces vingt dernières années.
D’après l’OMS, dans les années 1970, une nouvelle pathologie infectieuse était découverte tous les dix à quinze ans. On est passé, au début des années 2000, à cinq émergences par an. Les scienti- fiques identifient les territoires d’émergence en fonction des dif- férents facteurs que sont la défo- restation, la densité de population, la climatologie... Les analyses de Serge Morand montrent ainsi que les cartes de la déforestation, de l’extinction des espèces et des risques épidémiologiques se su- perposent. C’est, en toute logique, quand on détruit les zones où la biodiversité est la plus dense, qu’y apparaissent les foyers infectieux. Si bien qu’en septembre 2019, comme en témoigne Rodolphe Gozlan, chercheur de l’IRD (Insti- tut de recherche pour le dévelop- pement) en Guyane, deux lieux d’émergence potentiels avaient
été identifiés à Wuhan en Chine et dans une région de l’Ouganda.
Faut-il donc s’attendre à une
« épidémie des pandémies » ?
Tout à fait. Le processus de défores- tation accélère la dégradation des écosystèmes qui est concomitante de la dégradation du climat. Cette accélération décuple les risques. C’est ce que montre le biologiste Daniel Brooks avec « le paradigme de Stockholm », qui rompt avec la théorie dominante selon laquelle l’association hôte-pathogène serait tellement stable qu’elle rendrait l’émergence de nouvelles mala- dies improbable. Or, dans une pé- riode de grands bouleversements écologiques, ces agents patho- gènes retrouveraient la capacité de s’adapter à de nouveaux hôtes plus rapidement. La planète a déjà connu des périodes de change- ments climatiques qui ont rebattu les cartes, avec des flambées épi- démiques et des stabilisations pro- gressives. La modification du cli- mat à cause des activités humaines bouleverse tous les schémas. Ce qui auparavant évoluait sur des
millénaires intervient aujourd’hui en à peine deux siècles. L’humani- té est face à une situation inédite. Il est donc impératif de comprendre l’impact des activités humaines et d’en finir avec l’idée de croissance de production infinie dans un monde où les ressources sont limi- tées. Nous devons arrêter de créer des territoires d’émergence pour ces nouveaux virus, en détruisant les forêts et en perturbant les équi- libres. Nous n’avons pas le choix.
Le pangolin ne semble pas être l’hôte intermédiaire du Sars-CoV-2 comme l’explique la biologiste Alice Latinne, spécialiste des coronavirus. Nous n’en connaissons toujours pas l’origine ?
Pour l’heure, nous ne savons pas quel fut l’animal intermédiaire qui a permis à ce coronavirus issu d’une chauve-souris de coloniser la planète. On ne peut pas non plus totalement exclure que le vi- rus ne provienne du laboratoire P4 de la ville de Wuhan, d’où est par- tie l’épidémie. Sur le fond, cela ne change rien. Ces laboratoires P4
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