Page 7 - Rebelle-Santé n° 212 - Extrait "Le scandale de la Dépakine"
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SOCIÉTÉ
Cyril Pocréaux travaille avec le député-journaliste François Ruffin pour le bimestriel amiénois Fakir. En 2017, ils enquêtent autour de l’Affaire de la Dépakine®, un antiépileptique produit par Sanofi, longtemps prescrit à des femmes enceintes, responsable des troubles mentaux et du comportement de leurs enfants. Il y aurait jusqu’à 30 000 victimes en France. Un livre* vient éclairer le scandale au regard du fonctionnement de ce laboratoire fleuron de l'industrie pharmaceutique française, et des enjeux liés à la fabrication et à la commercialisation des médicaments.
Chaque scandale est le produit d’un effet boule de neige qui révèle sa chaîne de défaillances. Dans le cas de la Dépakine®, la question se
pose : comment Sanofi a pu taire sciemment les effets de son médicament pendant plus de 20 ans, alors que les études existaient ? Dans son enquête, Cyril Pocréaux démonte toute la mécanique de ce scandale. Il pointe la gestion et la responsabilité du laboratoire.
Rebelle-Santé : Comment avez-vous été mis au courant du scandale de la Dépakine® ?
Cyril Pocréaux : Une maman nous a alertés par cour- rier. Ses deux fils sont autistes. Par hasard, un jour, elle entend parler du lien entre le traitement antiépi- leptique par la Dépakine®, qu’elle avait pris, et les troubles neuro-développementaux chez le fœtus. Elle se renseigne et rencontre une association de victimes, l’APESAC (Association d’aide aux parents d’enfants souffrant du syndrome anti-convulsant), fondée par Marine Martin.
Nous avons tiré le fil. C’était un peu comme les pou- pées russes, dès qu’on ouvrait un tiroir, chez Sanofi, on trouvait sujet à enquête.
En 1967, la Dépakine® est mise sur le marché. À partir de quand les risques de ce traitement pour la femme enceinte ont-ils été connus ?
Dès les années 1980, les malformations ont été consta- tées et, dans les années 2000, les risques de « troubles du neuro-développement » étaient officiellement éta- blis. Ce n’est pourtant qu’en 2006 que la molécule est « déconseillée » aux femmes enceintes, et l’inscription du pictogramme sur les boîtes pour alerter les femmes enceintes a été imposée en 2017 par l’association des victimes, l’APESAC, qui s’est battue pour ça.
En réalité, Sanofi savait depuis le milieu des années 1980 : des études et des publications scientifiques avaient déjà montré les effets sur des souris, devenues autistes. Pourtant, les responsables n’ont ni changé les notices, ni averti les agences de santé avant que les victimes ne se mettent à bouger.
Cyril Pocréaux
La Dépakine®, c’est jusqu’à plus de 30 000 enfants victimes en France :
quelle est la responsabilité des médecins dans la prescription ?
Les médecins n’ont pas forcément accès aux données. La Dépakine® est un traitement qui n’est pas ano- din, mais il est efficace contre l’épilepsie et encore prescrit aujourd’hui, même s’il existe de nombreux effets secondaires en plus des dangers pour les fœtus. L’information passe en majorité par les visiteurs médi- caux envoyés par les laboratoires comme Sanofi pour présenter les nouveaux médicaments. Les visiteurs médicaux n’ont pas tous la formation qu’il faut, ils sont souvent mutés pour empêcher les affinités avec les médecins et sont mis sous pression pour minimiser les effets secondaires.
*voir encadré page 46
Rebelle-Santé N° 212 43


































































































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