Page 9 - Rebelle-Santé n° 212 - Extrait "Le scandale de la Dépakine"
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SOCIÉTÉ
qui restent... ça dit beaucoup de choses. Je pense que l'on touche là à la psychologie des gens.
Ces actionnaires sont totalement déconnectés de ce qu’ils font, ce sont des psychopathes du profit.
Les plus gros chez Sanofi sont l’Oréal, qui détient 9,2 % du capital ou encore le Vanguard group, le fonds d’investissement de William MacNabb, le pro- priétaire de Whirlpool, actionnaire également de Monsanto. Ces financiers voient l’industrie pharma- ceutique comme n’importe quelle autre et passent de boîte en boîte en fonction des offres de rentabilité immédiate.
À Sanofi, c’est Chris Viehbacher, directeur général de décembre 2008 à octobre 2014, qui a mis en place cette politique de financiarisation poursuivie au- jourd’hui par Olivier Brandicourt. Sous la direction de C. Viehbacher, 15 sites ont fermé entre 2009 et 2015, les effectifs fondent. En France, ce sont 4263 postes CDI supprimés en dix ans.
Vous parlez d’une « hémorragie du capital humain ». Quelles sont les conséquences pour la recherche ?
C’est la clé de tout.
S’attaquer au capital des chercheurs est une catas- trophe : un carnage pour la recherche et un suicide collectif pour la boîte. On assiste à un crime de masse contre l’intelligence. Le laboratoire perd une exper- tise qui a mis des décennies à se constituer, qu’on ne retrouvera pas et qui pénalise le futur. Pour fabriquer un nouveau médicament, il faut compter une dizaine d’années, parfois davantage, ça coûte des essais, des évaluations. Le risque existe de ne pas trouver et contredit la logique à court terme des actionnaires. C’est pourquoi la politique du laboratoire consiste désormais à externaliser la recherche au maximum en achetant de nouveaux brevets pour des molécules clés en main auprès de start-up pour disposer immédia- tement de nouveaux produits. Ça pose de nombreux problèmes. Un chercheur qui travaillait à la réévalua- tion des achats extérieurs m’expliquait que la moitié des brevets extérieurs étaient finalement rejetés. De- vant la toxicité de certains produits, certains n’auraient même jamais dû être développés.
Des stratégies absurdes qui conduisent à des aberrations comme ce bâtiment construit à Montpellier, démoli sans même avoir jamais servi.
Oui. C’est délirant. En 2003, ils lancent le projet de construction du « DI 50 », un laboratoire de 9000 m2 pour travailler sur de nouvelles molécules chimiques. Mais en 2012, alors que le bâtiment est prêt à être inauguré, le groupe change de stratégie et abandonne la recherche sur des molécules chimiques trop faciles
à copier, pour se focaliser vers une recherche plus ren- table, celle des thérapies biologiques.
Sanofi décide dans la foulée la destruction d’un bâti- ment totalement neuf, qui a coûté 107 millions d’euros. Soit à peu près ce que l’État français verse chaque an- née à Sanofi pour développer la recherche...
La rentabilité du médicament l’emporte-t-elle toujours sur l’intérêt des patients ?
Pour chaque nouveau médicament se pose la question de savoir où il peut rapporter le plus d’argent. Sanofi applique une stratégie commerciale, qui évolue en fonction des marchés. Les marchés du Tiers-monde sont peu attractifs car il n’y a pas de système de sé- curité sociale ou d’assurances de santé suffisant pour garantir des prix compétitifs. L’intérêt est moindre de développer des antibiotiques ou des vaccins pour ces régions. Et les marchés occidentaux sont saturés : l’ère des blockbusters, ces médicaments stars type Plavix®, Doliprane®, est terminée.
Sanofi concentre désormais la recherche sur des médi- caments de niche, pour vendre très peu de produits mais très cher, avec toujours ce rêve de dénicher le médicament miracle.
En juillet dernier, l’usine de production de la Dépakine® située à Mourenx dans les Pyrénées- Atlantiques avait annoncé sa fermeture annuelle après le signalement de rejets toxiques et cancérigènes 190 000 fois supérieurs aux normes autorisées...
C’est Médiapart et France info qui ont sorti l’informa- tion. Un an avant, j’avais rencontré des délégués syn- dicaux de Mourenx qui m’avaient déjà prévenu. Mourenx est situé près de Pau, dans un bassin indus- triel qui cumule toutes les pollutions imaginables. C’était d’abord l’industrie pétrolière, « le Texas fran- çais ». L’industrie a bénéficié d’élus très conciliants sur les normes environnementales pour attirer les entreprises. Les cancers explosent mais l’industrie donne du travail. Ce scandale a permis d’établir que ça faisait des années, peut-être des décennies, que les fumées rejetaient dans l’air du bromopropane et du valproate de sodium, les molécules de la Dépa- kine®. Des tests sur une femme qui travaille sur le site, et dont le fils est autiste, montre qu’elle a de la Dépakine® dans le sang sans avoir jamais pris de traitement. Sanofi se défend en prétextant que le vent réduit les risques.
Le problème, c’est que Mourenx est un site qui concentre environ 80 % de la production mondiale de Dépakine®, ce qui explique aussi pourquoi ils ont obtenu les autorisations rapidement, même si les rejets dans l’air continuent.
Rebelle-Santé N° 212 45


































































































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