Page 10 - Rebelle-Santé n° 212 - Extrait "Le scandale de la Dépakine"
P. 10

SOCIÉTÉ CULTURE
Un député et son collab’, chez Big Pharma, François Ruffin et Cyril Pocréaux
Fakir éditions
128 pages, 7 €.
Empêcher la délocalisation sert d’argument pour couvrir la pollution de l’usine de Mourenx, c’est aussi l’argument du Premier Ministre lorsqu’il estime, à propos de Sanofi, qu’ « on ne doit pas dénigrer une entreprise française qui fonctionne bien » ?
C’est l’argument de l’entourage d’Emmanuel Macron. Le problème, c’est que Sanofi n’est pas critiqué et cri- tiquable.
Il faut comprendre le cynisme de la situation : le len- demain du jour où le scandale de la pollution à Mou- renx est révélé, le Dolder se réunit à l’Élysée sous la direction de Sanofi. Le Dolder, c’est un club très secret qui rassemble une fois par an les quelque 25 plus gros patrons des laboratoires. Et le surlendemain, Olivier Brandicourt, le directeur de Sanofi, se réjouit dans Les Échos d’avoir obtenu une croissance minimale de 3 % pour les molécules les plus innovantes au cours des trois prochaines années. La sécurité sociale s’engage donc à payer l’augmentation des prix. C’est un chèque en blanc.
Il faut comprendre que l’industrie pharmaceutique est aussi capable de faire vivre tout un milieu scientifique et intellectuel à travers des congrès, par exemple. C’est un milieu qui se nourrit lui-même.
Agnès Buzyn a travaillé pour quatre grands labos avant d’être ministre. Emmanuel Macron lui-même est un proche de Serge Weinberg, le président de Sanofi, ancien membre de la commission Attali, qui l’a poussé dans sa carrière puis en politique, qui l’a fait entrer à la banque Rothschild. Ce n’est même plus du lobbying, c’est un conflit d’intérêts permanent installé à l’Élysée.
Comment pourrait-on contrôler le pouvoir des laboratoires ?
C’est un enjeu de santé publique trop important, et il faudrait aller vers une socialisation des labos, c’est-à- dire exiger a minima la transparence totale : transpa- rence sur les décisions qui président à la recherche, sur les essais cliniques, sur la fixation des prix, ou en- core l’utilisation des crédits d’impôt car Sanofi touche en moyenne 130 millions d’euros en Crédit impôt Re- cherche et 25 millions de CICE (Crédit d'Impôt Com- pétitivité Emploi, ndlr), sans contrepartie.
La transparence, ça signifierait donner accès aux conseils d’administration, être informé à chaque étape. François Ruffin proposera bientôt un projet de loi dans ce sens. Aujourd’hui, on en est très loin. D’ailleurs, la loi sur le secret des affaires a été utilisée pour la première fois dans l’affaire du Lévothyrox®, pour empêcher les victimes de connaître la composi- tion de la nouvelle formule...
Quels sont les moyens dont disposent les citoyens et les victimes pour s’attaquer à ce genre de multinationale ?
C’est très compliqué, mais c'est toujours en se mobili- sant que les patients font bouger les lignes. La plupart du temps, on n’a pas le choix de prendre les médi- caments. En termes de courage, des lanceurs d’alerte comme Marine Martin pour la Dépakine® forcent l’admiration. Car c’est le parcours du combattant, il faut déjà pouvoir identifier, avoir l’expertise qui per- met de lier la prise de médicament à une pathologie, un effet secondaire à la composition. Il faut ensuite se lancer dans un combat juridique face à des géants comme Sanofi qui ont des bataillons d’avocats.
Le seul espoir pour les victimes, c’est la pression mé- diatique et politique.
Pour la Dépakine®, Sanofi ne veut pas payer. Le la- boratoire continue à nier. Condamné par la justice à dédommager les victimes, le labo fait jouer les appels, retarde, conteste jusqu’au bout. S’il avoue, il pourrait lui en coûter des dizaines de milliards en indemnisa- tions.
Pour l’instant, pour la Dépakine®, un fonds d’indem- nisation a été voté en 2016 par l’Assemblée nationale et provisionné par l'État pour traiter les centaines de dossiers en attente depuis deux ans, mais à hauteur de quelques dizaines de millions seulement.
Pour Agnès Buzyn, je cite, se retourner contre Sanofi « n’est pas une priorité ».
Au final, c’est bien nous-mêmes, les citoyens, qui ris- quons de payer pour le laboratoire si on ne dénonce pas ce scandale.
Propos recueillis par Lucie Servin
46 Rebelle-Santé N° 212


































































































   8   9   10   11   12