Page 43 - Rebelle-Santé n° 216
P. 43
ÉCOLOGIE PÉDAGOGIQUE
Éric Lenoir
Installé à Volgré dans l’Yonne, Éric Lenoir cultive plus de 450 variétés de plantes aquatiques, des fougères et des plantes vivaces de manière expérimentale
et écologique, en intervenant le moins possible et toujours pour privilégier la biodiversité. À 45 ans, ce professionnel, formé à la prestigieuse école du Breuil, à Paris dans le Bois de Vincennes, a choisi de créer son propre modèle en punk et en poète. Il livre dans son Petit traité du jardin punk à la fois un manuel pratique et un manifeste citoyen (voir encadré page 46).
"Le punk est fauché, le punk est fainéant, le punk ne suit pas le droit chemin, le punk est libertaire, le punk survit"
Rebelle-Santé : Vous êtes d’abord un jardinier, qu’est- ce qui vous a poussé à écrire ce Petit traité du jardin punk ?
Éric Lenoir : Je n’ai jamais cloisonné ce qui concerne mon travail de ma vie. Pratique et éthique sont tou- jours liées et ce livre n'est finalement que l'expression de la démarche que j'ai adoptée depuis toujours : une réaction à mon vécu dans mon métier de paysagiste, mais aussi à travers mon expérience de gamin des cités et mon engagement citoyen. J’ai grandi dans le 93. Face aux désastres des milieux urbains, j’ai très tôt cherché à trouver des solutions pour remédier à cette problématique. Petit, j’ai aussi eu la chance de passer les vacances dans le Morvan, où j’ai pu être en contact avec des espaces de pleine nature. La dichotomie était trop forte entre les deux milieux. C’est sans doute ce qui a créé en moi l’impératif d’agir. Je ne supporte pas d’entendre que tel endroit est moche, bétonné ou laissé à l’abandon parce qu’on n’a pas les moyens hu- mains ni financiers d’en faire un jardin. Cette réponse est inacceptable. Je pars du principe que la nature n’a pas besoin de l’Homme pour être belle et je voulais
faire la démonstration qu'il était possible de faire diffé- remment. J’ai mis quelques années à peaufiner ce livre pour prendre le temps de répondre point par point, en proposant des solutions et une méthode, à tout ce qu’on a pu m’opposer depuis plus de 20 ans pour m’empêcher d’embellir un lieu. On peut très bien faire quelque chose de beau, de pas coûteux, de vivable, d’écologique, avec un peu d’imagination, de malice et de savoir-faire. C’est pourquoi je m’adresse autant aux connaisseurs qu’aux néophytes, aux jardiniers lambda qui se croient obligés de tondre tous les week-ends, comme aux décideurs publics, qui doivent gérer des cités HLM dans un état lamentable entourées de béton et de deux arbres à moitié morts.
"Pratiquer le jardin punk, c’est déjà se sentir capable de modifier ce qui semblait immuable. Atavismes, habitudes, autocensure existent au jardin comme ailleurs"
« Apprendre à désapprendre », écrivez-vous en sous-titre de votre livre. Vous avez vous-même étu- dié l’horticulture, de quels savoir-faire et connais- sances a-t-on besoin au jardin punk ?
Je dis toujours que la première chose à faire, c’est de ne rien faire. La philosophie du jardin punk oblige d’abord à devenir observateur du milieu avant même d’intervenir et de commencer à le toucher. Pour moi, il est primordial de décomplexer le néophyte. Au jardin comme dans beaucoup d’autres domaines, les « sachants » aiment bien faire savoir qu’ils sont « sachants ». C’est un fonds de commerce, et le savoir valorise socialement. Le problème, c’est que les gens se retrouvent exclus du jardin, ils se persuadent de ne pas savoir faire. Sans dire que tout le monde peut devenir Le Nôtre ou Gilles Clément, tout le monde peut jardiner et, pour commencer, tout le monde sait regarder. C’est en passant un peu de temps à observer son environnement, en relevant et en questionnant les détails, qu’on peut comprendre ce qui pousse, dans quel ordre les plantes apparaissent, à quelle vitesse et à quel moment, mais aussi ce qui nous plaît, ce qui est dangereux, ce qu’on veut garder ou au contraire contenir. Comme je suis « pépiniériste », on me demande toujours comment tailler les rosiers. Pourtant je ne cultive moi-même aucun rosier ! Je questionne alors pour savoir si les rosiers sont beaux, et le plus souvent, ils le sont. Mais dans ce cas, quelle est la question ? Les gens ont très souvent la ressource sans le savoir. On s’émerveille de ce qu’un gamin arrive à faire d’une boule d’argile sans n’avoir jamais rien appris, de même certains néophytes arrivent à faire des jardins formidables. Il faut faire ses propres
Rebelle-Santé N° 216 43
© F. Givaudan