Page 19 - Rebelle-Santé n° 200
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la chronique de Pinar selek
Frachon, ensuite « La revanche du ra- meur » de Dominique Dupagne et, en- fin, « Narrative Medecine : Honoring the stories of illness » de Rita Charon. Tous analysent certains défauts du système de santé et proposent des solutions. Cette lecture répondait à un besoin plus personnel : « Une maladie, rebelle au traitement classique, mise en relation au cours d’une analyse, et la rencontre avec de telles sources de savoir, de savoir être et de savoir-faire, ont entraîné des bouleversements dans ma pratique ». Il a compris surtout l’irréductibilité des dimensions du soin (prendre soin – « Care » – pour gué- rir la maladie « Cure »). « J’ai exercé la médecine libérale durant 25 ans au sein d’un système de santé censé donner à tous les patients un accès potentiel aux meilleurs soins. Pourtant, à chaque consultation, j’ai mesuré la difficulté de soigner dans le respect de l’éthique du soin, de la singularité du patient, de mon savoir et de mes convictions, du fait de la complexité et de la diversité des contraintes. » Mal- gré ces contraintes (administratives, économiques, juridiques) auxquelles le médecin est confronté, Jean-Michel Benattar croit au changement ; il in- siste sur le fait que l’Art de soigner avec humanité peut être harmonieusement combiné avec une médecine technico- scientifique performante et critique : « Le système de soins peut être trans- formé, à peu de frais, au bénéfice des patients, des soignants et du système de santé lui-même ».
l’éthique et la bienveillance
À Nice, toutes et tous les patients parlent de la bienveillance de ce méde- cin. « Je fais juste attention aux besoins singuliers des patients », dit-il. Faisant référence à P. Le Coz, il définit la bien- veillance par le fait d’être sensible à l’altérité de l’autre et, pour lui, c’est la base éthique de son métier. Pour- quoi alors soigner avec humanité est- il un acte de résistance ? Il explique : « L’éthique médicale est née en 1947 lors du procès des médecins nazis à Nuremberg. Cela a montré qu’on peut être médecin et violer l’éthique médicale, en pensant que c’est béné- fique pour l’humanité. Même après la guerre, cette éthique n’a pas été tou- jours été un préalable pour tous les médecins. Par exemple, en France, il a fallu une loi (la loi Kouchner-4 mars 2002, voir encadré NDLR) pour impo-
ser les règles les plus élémentaires de la médecine ». Soigner avec humanité est parfois un acte de résistance. Jean- Michel Benattar résiste.
médecine narrative
Selon Jean-Michel Benattar, pour soi- gner, il faut d’abord écouter les pa- tients, c’est indispensable : « L’art du soin en partage est une vraie force d’humanisation du système de soins. Quand on écoute le récit du patient, l’autre devient sujet. Le récit est la ren- contre de deux êtres humains. Il ne peut pas y avoir de soin s’il n’y a pas de rencontre ». Les patients peuvent- ils devenir sujets et devenir partie prenante du processus du soin ? Oui, même si cette collaboration n’est pas évidente, car nous, les non-médecins, sommes habitués à la passivité, à nous en remettre à la parole du médecin et à l’industrie pharmaceutique. Jean- Michel Benattar fait son possible pour encourager l’autonomie du patient tout en lui apportant des éléments indis- pensables sur les différentes voies de traitement possibles : « L’information éclairée de la balance bénéfice-risque est très complexe à un moment où le patient est en souffrance, parfois seul, où il pénètre dans un monde souvent étranger, où le langage utilisé n’est pas toujours adapté. »
Ça doit être fatigant d’écouter les ré- cits de tous les patients... Alors je lui demande comment il trouve le temps et s’il n’est pas submergé par des nar- rations infinies... Il répond avec un petit sourire : « Oui, c’est parfois dif- ficile. Mais quand on ouvre un espace de parole au patient, tout en étant pré- sent dans cet espace, cette personne va te dire l’essentiel en deux minutes. Contrairement à ce que les gens croient, c’est assez rapide. Il ne s’agit pas de bavardage, mais d’une vraie conversation et d’une vraie collabora- tion. » L’acte médical devient ainsi un acte alchimique ! J’ai du mal à imagi- ner les médecins faire un pas en arrière pour laisser la place aux patients, et Jean-Michel Benattar confirme que ce n’est pas toujours simple : « Oui, c’est difficile, car on apprend la médecine en se basant sur des théories scienti- fiques, des règles rassurantes, parce qu’elles sont écrites et figées. Bien en- tendu, je ne nie pas l’importance de la science, mais il faut un équilibre. Il faut allier le subjectif et l’objectif. »
le but est de démédicaliser ! Pour continuer avec Joie...
Jean-Michel Benattar tente de porter un diagnostic le plus fin possible et de minimiser le recours aux prescriptions d’actes diagnostiques et de traitements médicamenteux. Et, surtout, une fois le patient guéri, l’étape de démédica- lisation est essentielle. Il est temps de passer à autre chose. C’est le moment de la co-ouverture du champ des pos- sibles. Le médecin et le patient inven- tent à deux des nouvelles normes de santé. Le patient réinvente sa santé avec l’appui de son médecin qui, en même temps, réinvente son métier. Encourager l’autonomie du patient né- cessite une vraie relation de confiance et une connaissance étendue des nom- breuses méthodes de soin possibles : « Je ne cherche pas l’idéal, mais le moins mauvais possible. De la richesse de la relation médecin-patient peut sortir quelque chose qui est simple- ment meilleur pour l’avenir des deux. » Jean-Michel Benattar regrette de ne pas avoir assez de temps. Pour mener à bien son travail, il a besoin de se tenir informé de toutes les nouveautés scientifiques et de découvrir d’autres types de réflexions, de modes de soin, en France, mais aussi au niveau inter- national. Il veut apprendre sans arrêt, sans frein. Pour jouer son rôle de se- meur de joie, il ouvre aussi ses oreilles
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LOI KOUCHNER
La loi Kouchner proclame le droit fondamental à la protection de la santé, qui doit être mis en œuvre par tous les moyens disponibles. Les établissements de santé doivent garantir l’égal accès de chaque personne aux soins nécessités par son état et assurer la continuité des soins et la meilleure sécurité sanitaire possible (article L.1110-1 du Code de la Santé Publique).
Est également posé le principe de non discrimination, notamment en raison des caractéristiques génétiques (article L.1110-3 du Code de la Santé Publique). La personne malade a droit au respect de sa dignité (article L.1110-4 du du Code de la Santé Publique).


































































































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