Page 27 - Rebelle-Santé n° 221
P. 27
entre grillage et bitume, ils ne peuvent plus grandir et apprendre en grattant le sol, en découvrant la nature... Nous passons notre temps à résoudre des conflits pour que le vivre ensemble reste digne.»
Elle raconte aujourd’hui tout ce que cette expérience lui a appris sur l’humain et ses paradoxes, les siens, ceux des familles, de l’institution.
ELLE CONSTRUIT SON BATEAU
Peu à peu, son travail perdait du sens et elle a senti sa santé vaciller. Alors, elle a décidé de se protéger : «Je n’ai qu’une santé, trop pré- cieuse pour être sacrifiée.» Grâce à la redécouverte de la musique avec la pratique de l’accordéon, elle a recommencé à respirer, à retrouver de l’énergie: «Ma sensi- bilité retrouvait sa place.»
Elle a alors pris une disponibilité: un congé sans solde d’un an. Puis encore un an... Et ainsi de suite pendant 5 années durant lesquelles elle a cherché comment mettre ses compétences au service des enfants pour approfondir les bases du vivre ensemble: «Je sais qu’un enfant qui est respecté et confiant affectivement apprendra ce qu’il voudra! J’ai plusieurs fois solli- cité une personne des ressources humaines au rectorat pour voir quel type de réorientation serait possible. Cette femme, visiblement découragée, m’a répondu que j’avais raison, mais que j’étais trop innovante. » Alors Chloé a décidé d’aller plus loin et elle a démis- sionné, « pour acter l’élan de vie ». Durant ses années de disponibilité,
elle s’est formée à la musique traditionnelle de sa région et, aujourd’hui, elle se sent prête à vivre de nouvelles expériences, à construire son propre bateau.
LES MÉMOIRES QUI ANIMENT, QUI INSPIRENT
Chloé continue ses recherches en partageant son temps entre la mé- diation culturelle au centre occitan et un poste de surveillante dans un collège de quartier: «Je mesure la chance de vivre cette France multiculturelle qui saigne d’oubli des épisodes historiques qui ont construit son identité actuelle, d’ignorance de sa richesse, des aberrations de certains qui ont du pouvoir et en abusent.»
Elle s’est aussi formée à la musi- cothérapie et a exploré «l’accom- pagnement à la naissance», elle s’est investie dans des associations d’actions sociales, auprès d’en- fants handicapés, en hôpital psy- chiatrique, en soins palliatifs: «Je continue à chercher comment mon énergie peut honorer au mieux la vie, la mienne et celle des autres. À la source.»
SE LIBÉRER EN TANT QUE FEMME
Plus forte, Chloé apprivoise son « féminin » , et revisite les violences vécues lors de son adolescence, les abus alors qu’elle n’était qu’une jeune femme en terrain quasi- inconnu de son corps. Le manque de transmission entre femmes, remplacée par une technicité paramédicale froide reléguant le
corps au statut d’objet, la révolte et l’attriste. L’accouchement physio- logique n’est quasiment plus en- seigné à l’école de sage-femme... Elle se dit: «On en vient à igno- rer nos propres ressources, nos droits d’humaines, et notre sen- sibilité, encore elle!» C’est la rai- son qui l’a poussée à se former à l’accompagnement à la naissance «doula». Une doula est une per- sonne qui soutient et accompagne une femme enceinte ou un couple durant la grossesse, la naissance, et la période néonatale... Ce n’est ni une sage-femme, ni une gynéco- logue, qu’elle ne remplace aucu- nement. Selon elle, il y a un vrai besoin de créer de nouveaux mé- tiers pour pallier des liens sociaux primordiaux qui se perdent...
L’AVENTURE CRÉATIVE CONTINUE...
Dansant sur les vagues de son bateau acrobatique et dynamique, Chloé partage aujourd’hui ses expériences et ses connaissances autour d’elle et continue à nourrir ses passions créatives et artistiques. Elle continue, avec une vraie déter- mination, à pratiquer musique et danse, qui lui ont sauvé la vie : « Je veux leur rendre grâce, c’est vital » dit-elle avec un sourire doux.
Je l’écoute avec un grand sourire: «Je prends le temps de concevoir comment je peux trouver une jus- tesse qui se conjugue avec une exploration artistique de qualité. Comment honorer l’autre, si je ne m’honore pas ? Je suis mon instinct sensible, même si je ne sais pas en- core bien la forme que cela pren- dra. Mais je me sens en chemin, en accord avec moi-même. Ce n’est pas forcément confortable mais si précieux ! »
Elle me fait penser au fameux mes- sage de Paulo Coelho : « L’aventure est dangereuse, essayez la routine. Elle est mortelle.»
Je vous souhaite un hiver rempli de belles aventures...
Pınar Rebelle-Santé N° 221 27
LA CHRONIQUE DE PINAR