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PATHOLOGIES
le patient atteint d’un SAE n’em- prunte pas sciemment un accent anglais ou encore espagnol, mais s’exprime avec une diction – asso- ciée à un accent – que l’entourage (ou les médecins) attribuent à un accent connu. En conséquence, on peut tout à fait parler avec un accent proche du norvégien sans avoir jamais mis les pieds en Nor- vège ni même entendu un Norvé- gien s’exprimer dans sa langue.
TOUT SE PASSE DANS L’HÉMISPHÈRE GAUCHE
C’est un médecin anatomiste fran- çais, le Dr Broca, qui jeta les bases neurologiques de l’origine cérébrale de la parole et du langage en 1861, après avoir autopsié un patient atteint d’un trouble de la parole. Il découvrit le centre cérébral de la parole, qui porte désormais son nom, l’aire de Broca, située dans la partie inférieure de l’hémisphère gauche, que l’on soit droitier (99 % des droitiers ont leur aire de Broca à gauche) ou gaucher (70 % des cas). La compréhension des mots, elle, s’effectue dans une autre aire céré- brale, l’aire de Wernicke (du nom d’un neurologue allemand), située plus en arrière dans le lobe tempo- ral gauche. Les deux aires commu- niquent grâce à un réseau neuronal appelé « faisceau arqué ».
HISTOIRE SANS PAROLE
La parole est une activité céré- brale très complexe, et encore
mal connue, dans laquelle inter- viennent également la mémoire (se souvenir des mots), l’audition (en- tendre les mots) et de nombreuses autres aires cérébrales (émotion, gestion motrice de la langue, des ar- ticulations temporo-mandibulaires, etc.). Enfin, la parole peut être en langue des signes, s’accompagner de mimiques, de gestes divers et variés, de mouvements des pau- pières, des sourcils, des yeux et des pupilles. Tout le système cérébral ou presque peut être impliqué !
AVC ET LÉSIONS TRAUMATIQUES
Le SAE, lié à une altération neuro- logique, commence par une apha- sie motrice, c’est-à-dire l’impossi- bilité d’énoncer les mots, lorsque l’AVC (par occlusion artérielle ou hémorragie cérébrale) ou la lésion cérébrale (par délabrement céré- bral) touchent l’aire de la parole. Puis les mots reviennent progres- sivement, mais avec difficulté. Ce sont ces troubles de la diction qui évoquent un accent étranger. Dans certains cas, l’IRM peut montrer la lésion. Signalons que certains SAE peuvent apparaître au décours d’épisodes de migraine.
ÉLOCUTION INHABITUELLE
La lésion cérébrale provoque une anomalie dans le fonctionnement des muscles de la langue (17 au to- tal), des lèvres, des cordes vocales, mais aussi dans le fonctionnement du larynx. La coordination de ces
différents éléments ne se fait plus comme avant et les mouvements deviennent donc anarchiques ou mal coordonnés. On assiste alors à un changement de diction, de débit verbal ou d’intonation, tout simplement.
RÉÉDUCATION ORTHOPHONIQUE
S’il n’existe pas d’intervention chirurgicale ni de traitement médi- camenteux, le SAE peut en re- vanche être partiellement traité grâce à l’orthophonie, à l’instar des autres difficultés d’élocution.
Dr Daniel Gloaguen
CAS HISTORIQUES
Le SAE ne date pas d’hier ! Bien avant la télévision ou Internet. La première description, française remonte à 1907 :
une Parisienne, atteinte d’une rupture artérielle au niveau du cerveau, se retrouva paralysée à droite par atteinte de la partie gauche du cerveau. À son réveil, elle s’exprimait avec un fort accent alsacien. On se souvient également d’une Américaine pure souche de 57 ans se réveillant au lendemain d’un AVC avec un accent londonien, alors qu’elle n’était jamais sortie de son Indiana natal. Autre cas fortement médiatisé en 2008, cette autre Américaine parlant avec l’accent russe après une manipulation cervicale mal effectuée. Enfin, plus près
de nous, en 2013, une jeune Anglaise victime d’un AVC s’est réveillée en parlant avec un accent chinois !
LANGUE
Si l’on sait où naissent le langage et sa compréhension (aire de Broca et aire de Wernicke), de quelle partie du cerveau proviennent les langues ? D’après les dernières recherches, il semblerait que les langues prennent naissance dans divers endroits, et pas nécessairement dans un même hémisphère. Dans certains cas d’AVC, le patient peut oublier sa langue habituelle (zone de lésion) et utiliser alors une langue maternelle qu’il croyait oubliée !
Rebelle-Santé N° 209 75