Page 12 - Rebelle-Santé n° 231
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SOCIÉTÉ
   d’une surreprésentation des fem- mes dans les victimes des effets secondaires. Plus on creusait, plus des faisceaux d’indices donnaient sens à cette idée.
Ariane Puccini :
Le médicament occupe une place particulière dans le soin en France, 9 consultations sur 10 se concluent sur une prescription. Il est omni- présent et central, donc étudier cette question, c’était analyser tout notre système de santé.
D. B. : Dès qu’on parle de ce su- jet à des femmes, tout le monde a une histoire à raconter. Toutes les femmes. C’est quasi automatique.
A. P. : La question des effets secon- daires n’était pas une évidence au début de l’enquête. Mais quand on ouvre les yeux, on relie tous les scandales pharmaceutiques sous un nouveau jour.
R-S. : Qu’entendez-vous par « mé- dicaments sexospécifiques » ?
D. B. : On parle du médicament comme a priori très neutre et qu’il aurait la même efficacité chez les hommes et chez les femmes. Mais non, le sexe et le genre peuvent modifier la façon d’être consommé et prescrit.
A. P. : Les choses ont pris forme petit à petit au cours de l’enquête. Les questions biologiques et so- ciales se sont entremêlées. Ce qui a émergé dans les premiers mois de recherche, de façon tous azi- muts, c’est la question de la vio- lence que ça représentait. Les effets secondaires des médicaments fai- saient partie d’un système violent à l’égard des femmes. C’est cette intrication, comme toujours, de l’effet chimique du médicament sur les femmes mais aussi de toute cette machine qui se met en branle et maltraite les femmes.
D. B. : Au-delà des effets secon- daires des traitements, les femmes sont triplement pénalisées : une femme malade de cancer est six fois plus souvent quittée par son partenaire que l’inverse dans une relation hétérosexuelle ; c’est aussi symptomatique : quand le corps de la femme ne fonctionne plus, il n’y a pas grand monde pour l’aider à faire face. Pour des pathologies mixtes, dans les essais cliniques, les femmes sont sous-représentées. La recherche sur le SIDA, par exemple, s’est focalisée sur les hommes, alors qu’aujourd’hui la contamina- tion concerne quasiment autant de femmes que d’hommes.
A. P. : Nous avons bâti notre dé- monstration en partant du constat
général que les femmes rappor- taient plus d’effets secondaires, et nous nous sommes interrogées sur les causes biologiques, les médica- ments qui réagissent différemment, les essais cliniques non conçus pour prendre en compte ces différences. Mais il y a aussi tout un contexte social favorable au développement des effets secondaires qui sont non seulement plus nombreux chez les femmes,maisellessontenplusma- joritaires à utiliser des médicaments qui présentent plus de dangerosité.
R-S. : Cette situation est résumée par l’avocat Charles-Joseph Oudin, spécialiste de l’indemnisation des victimes de produits de santé que vous citez : « Tous ces dossiers, ce sont des violences faites aux femmes. La Dépakine, pour faire des enfants, le Médiator pour être belle, l’Androcur pour ne pas être trop poilue. » C’est aussi votre conclusion ?
A. P. : Une société qui pousse les femmes à utiliser certains médi- caments pour être belle, jeune, mince... C’est un contexte social délétère qui fait que les femmes sont en moins bonne santé mentale et donc qu’elles prennent plus d’an- tidépresseurs. Les femmes prennent des médicaments parce qu’elles sont dans des sociétés qui les mal- traitent. Quand elles sont victimes
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