Page 13 - Rebelle-Santé n° 231
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SOCIÉTÉ
de violences sexuelles, quand elles se retrouvent seules face à leur baby blues, quand elles doivent assumer toute la charge mentale...
R-S. : Comment, alors, arriver à une médecine qui reconnaîtrait la nécessité de prendre en compte les différences entre individus en fonction des sexes, des origines, des genres ou des classes sociales, différences qui peuvent avoir des conséquences sur les traitements à prescrire ?
A. P. : Nous faisons le constat de l’importance d’avoir des femmes dans la médecine. Nous-mêmes, au cours de notre enquête, nous avons croisé beaucoup de femmes qui se posaient les mêmes questions que nous, mais peu d’hommes. Les femmes se posent des questions que les hommes ne se posent pas, même si elles n’ont pas forcément toutes une approche féministe.
D. B. : La question de l’intersection [cumul des paramètres : sexe, ni- veau social, origine..., ndlr] est im- portante. Le Médiator, par exemple, a surtout concerné des femmes pauvres. Tout le monde ne peut pas se payer une psychothérapie, alors on se dirige vers des médicaments [pour mincir, pour être belles... et finalement correspondre aux cri- tères qu’attend d’elles la société, ndlr] qui n’ont pas été fabriqués pour les femmes. Des politiques publiques de prévention devraient être mises en place.
A. P. : On insiste dans le livre sur le « c’est dans ta tête » qu’on renvoie systématiquement aux femmes. Par exemple, on ne prend pas en compte la douleur, ce qui amène à une surconsommation d’antidé- presseurs très puissants. Ce déni de la douleur entraîne une prise en charge plus tardive de certaines pathologies. On a beaucoup enten- du parler de l’épidémie d’overdose aux opioïdes aux USA. En France, il y a eu une recrudescence et les femmes sont majoritaires dans les
prescriptions d’antidouleurs. Plutôt qu’entendre les femmes dans leurs douleurs, on leur reproche de trop se plaindre.
R-S. : Y a-t-il des points communs à tous les scandales que vous listez ?
D. B. : Nous n’avons sélectionné que quelques médicaments, nous pourrions en lister d’autres. Mais, à chaque fois, nous avons pu iden- tifier des lanceuses d’alerte, deve- nues les visages de ces combats. Les points communs dans leurs his- toires étaient flagrants : sortir de sa solitude pour constater qu’on n’est pas seules, créer une association pour être plus crédible, se docu- menter. Ce sont des parcours qui ne sont jamais linéaires. Ces femmes, majoritairement autodidactes, sont marquées par ce qu’elles ont vécu même quand elles vont mieux. Leur lutte est un investissement de chaque instant.
A. P. : C’est un combat d’autant plus compliqué qu’elles sont malades, parfois mères de famille ; arriver à s’engager, c’est franchir aussi des obstacles de la vie quotidienne d’une femme, avec tout ce que la charge mentale représente. Mener ces batailles les précarise, parce que c’est parfois renoncer à des promotions, quand elles peuvent encore travailler. Certaines ont dû démissionner.
D. B. : Il faut ensuite se retrouver face à la violence de la justice, des expertises...
A. P. : On rejoint les schémas des vio- lences rencontrées par les femmes, qui se poursuivent jusque dans les tribunaux. Elles en sortent traumati- sées. Certaines ne se sentent pas la force ou n'ont pas les moyens finan- ciers de continuer après ça. Nous montrons comment les femmes font face. Mais même quand on veut combattre, il faut affronter des insti- tutions qui ne veulent pas les écou- ter parce que ce sont des femmes. On conteste leur statut de victime.
Heureusement, les femmes sont de plus en plus nombreuses parmi les médecins. C’est là qu’il faut briser le plafond de verre [plafond invisible auquel se heurtent les femmes dans l'avancée de leur carrière, ndlr].
R-S. : Écrire ce livre, rencontrer toutes ces combattantes, cela a-t-il modifié votre comporte- ment face aux médecins ou aux médicaments ?
D. B. : Je cherche des médecins qui me rendent actrice de ma santé, en ne me poussant pas à la consom- mation de médicaments. C’est ap- préciable. Ma lecture de certains faits a changé. Je lis différemment la biographie de Marilyn Monroe qui avait de l’endométriose, par exemple. Je découvre que c’était une femme en souffrance. Il faut prendre ça en compte. J’ai modifié ma grille de lecture sur le mythe de la folie. Après mon accouchement, j’ai aussi demandé mon dossier médical.
A. P. : Je ne considère plus la mala- die comme un seul fait biologique. Le médicament qui s’attaque uni- quement au physiologique aura des effets limités si on ne prend pas en compte aussi la cause qui peut être un environnement social défa- vorable, spécialement envers les femmes.
Propos recueillis par Hélène Molinari
Rebelle-Santé N° 231 13
* Mauvais traitements - Pourquoi les femmes sont mal soignées - Delphine Bauer, Ariane Puccini
Éditions du Seuil -
299 pages -
18 € -
Ebook
12,99 €.