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interventions cosmétiques ne sont pas connues». Comment expli- quer que les femmes, surtout dans les pays occidentaux, acceptent de subir ces opérations ?
VULVE DE BARBIE !
«La chirurgie esthétique n’est certes pas exclusivement réser- vée aux femmes, mais la part des hommes y faisant appel reste en- core très minoritaire. En 2017, près de 200 000 femmes auraient eu re- cours à ce type d’opérations dans le monde », explique Marie Les- clingand en pointant néanmoins la faible diffusion de ces données sur ce sujet ainsi que leur qualité limitée : « Il y a une branche spéci- fique de la médecine : la chirurgie esthétique, qui promet de corriger des "imperfections" de la vulve : taille, symétrie, couleur... » Et dans de nombreux pays occidentaux, de plus en plus de femmes ont recours à ces chirurgies sexuelles cosmé- tiques, notamment des adoles- centes. Les filles veulent-elles avoir les vulves de Barbie ? Les hommes veulent-ils cela ? Des vulves de petites filles ? Marie pointe le poids des normes esthétiques de l’idéal féminin et explique comment le milieu médical, majoritairement masculin, devient le lieu de pro- duction de normes esthétiques relatives au corps féminin. Le but est de garder la pureté et propreté vulvaire : «Du côté des excisions, dans de nombreuses sociétés, le clitoris symbolise la partie mascu- line. L’ablation du clitoris est alors jugée nécessaire pour inscrire le corps dans son entière féminité. On retrouve aussi les représentations du féminin et du masculin dans les chirurgies sexuelles cosmétiques. Ainsi, dans le cas des labioplasties, on enlève une partie de la vulve considérée à la fois trop visible et trop masculine.»
Les études médicales des dernières années ont montré la grande varié- té anatomique des formes, tailles et couleurs de vulves, rendant
difficile la distinction médicale entre «l’anormal» et le «nor- mal». Or, le problème n’est pas notre nature qui est très riche, mais la subordination des femmes à l’ordre masculin. « On impose aux femmes un "modèle unique de vulve" via notamment les images ou films pornographiques... C’est ainsi qu’on rend possible l’exer- cice de la domination masculine» explique Marie en se référant à Colette Guillaumin que je vous conseille vivement de lire* pour mieux comprendre les relations de domination hommes/femmes.
DES PERCEPTIONS DIFFÉRENTES
Marie Lesclingand nous invite à réfléchir ensemble sur les diverses formes de modifications géni- tales féminines en questionnant leur dénomination, leurs origines, leurs traitements juridiques, les effectifs et les caractéristiques des femmes concernées et les formes de médicalisation dont elles sont l’objet. « Alors que l’excision et la labioplastie correspondent à des altérations similaires des par- ties génitales féminines, leurs per- ceptions sont très différentes. Le terme mutilation renvoie à la gra- vité de l’acte qui est considéré comme barbare, tandis que le terme de chirurgie minimise com- plètement l’altération physique.»
Elle montre également les situa- tions très contrastées au regard du droit : les pratiques d’excision sont devenues illégales tandis que les chirurgies cosmétiques sont autorisées, y compris sur des ado- lescentes. «Cette différence de traitement juridique est liée aux représentations culturelles de ces deux pratiques, mais aussi à la mise en évidence de certaines de leurs caractéristiques : l’âge des femmes concernées et la notion de consen- tement ». Toutes ces pratiques « font partie des atteintes corporelles qui construisent le corps des femmes ». Marie Lesclingand analyse ces opérations dans la construction
des rapports sociaux de sexe et nous invite à nous poser des ques- tions de manière plus large sur ce qu’est le consentement, le rôle de la société et l’ethnicisation des vio- lences faites aux femmes. Elle rap- pelle combien les sociétés patriar- cales ont toujours tenté d’interdire ou de s’opposer au plaisir sexuel féminin.
DEUX POIDS DEUX MESURES...
Marie Lesclingand insiste aussi sur la jeunesse des filles occiden- tales concernées par la chirurgie sexuelle cosmétique : «On consi- dère que les mutilations génitales féminines sont essentiellement pra- tiquées sur les mineures et leur sont imposées. Tandis que les "chirur- gies sexuelles cosmétiques" concer- neraient principalement des fem- mes majeures et apparaissent com- me "optionnelles". Mais si on prend en compte l’augmentation du nombre d’adolescentes, nous devons poser la question du libre consentement pour l’ensemble des mineures. »
Bien évidemment, une femme ou un homme doit être libre de modi- fier une partie de son corps s’il ou elle le souhaite. Mais à partir de quel âge peut-on parler de consen- tement ?
En Occident, nous nous élevons contre les mutilations sexuelles pratiquées dans la culture africaine tandis que la mode et les normes de notre société poussent les filles de plus en plus jeunes à transformer leur corps et à subir des interven- tions similaires pour répondre aux canons de beauté imposés par des hommes. Cette réalité, nous l’avons sous les yeux et elle nous échappe. Grâce à des travaux comme ceux de Marie Lesclingand, nous en prenons conscience. K. Marx avait raison quand il disait : « Si tout était visible, on n’aurait pas besoin des sciences sociales.» C’est souvent grâce à elles que la réalité nous apparaît au grand jour...
Pınar Rebelle-Santé N° 217 27
* Sexe, race et pratique du pouvoir, Colette Guillaumin, éditions iXe, 18 €.
LA CHRONIQUE DE PINAR