Page 95 - L'AVENTURE DE JABER
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L’Aventure de Jaber
n’appartenait au paysan, ni la terre, ni l’eau, ni le feu, ni même l’air qu’il respirait. Il lui fallait payer, payer toujours [...] Mais l’impôt exécré, celui dont le souvenir grondait encore au fond des hameaux, c’était la gabelle odieuse, les greniers à sel, les familles tarifées à une quantité de sel qu’elles devaient quand même acheter au roi, toute cette perception inique dont l’arbitraire ameuta et ensanglanta la France.
- Mon père, interrompit Fouan, a vu le sel à dix-huit sous la livre... Ah ! Les temps étaient durs ! [...]
Jean continua. Maintenant, il en était à la justice, à cette triple justice du roi, de l’évêque et du seigneur, qui écartelait le pauvre monde suant sur la glèbe. [...] Aucune garantie, aucun recours, la toute-puissance de l’épée. [...] L’accès des grades leur était défendu. Un cadet de famille trafiquait d’un régiment, ainsi que d’une marchandise à lui qu’il avait payée, mettait les grades inférieurs aux enchères, poussait le reste de son bétail humain à la tuerie. [...]
- Ah ! Mon Dieu ! dit Rose simplement, en poussant un grand soupir.
Tous avaient ainsi le cœur gros, cette lecture leur pesait peu à peu aux épaules, du poids pénible d’une histoire de revenants. Ils ne comprenaient pas toujours, cela redoublait leur malaise. Puisque ça s’était passé comme ça, dans le temps, peut- être bien que ça pouvait revenir.
- « Va, pauvre Jacques Bonhomme, se remit à ânonner Jean de sa voix d’écolier, donne ta sueur, donne ton sang, tu n’es pas au bout de tes peines... »
Le calvaire du paysan, en effet, se déroulait. [...] Chaque guerre privée de seigneur à seigneur le ruinait, quand elle ne l’assassinait pas : on brûlait sa chaumière, on rasait son champ. Plus tard étaient venues les grandes compagnies, le pire des fléaux qui ont désolé nos campagnes, ces bandes d’aventuriers à la solde de qui les payait, tantôt pour, tantôt contre la France, marquant leur passage par le fer et le feu, laissant derrière elles la terre nue. [...]
a. Comparez entre la soirée au café dans L’Aventure de Jaber et la veillée dans La Terre.
b. Que pouvons-nous déduire de la description du peuple et des paysans dans ces deux textes ?
c. Comment expliquez-vous les interventions de l’auditoire dans La Terre ? Ont-elles la même fonction que les interventions des clients du café dans L’Aventure de Jaber ?
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