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INTERVIEW
Yolande Moreau
« J’ai senti venir le vent de la révolution en mai 68 »
En mars dernier l’actrice belge Yolande Moreau aurait dû se rendre en Suisse pour la promotion du nouveau film de
Martin Provost « La Bonne Épouse », malheureusement la situation du moment en a décidé autrement et c’est par
téléphone que la lauréate de trois César a répondu à nos questions.
ous sommes peu avant mai 68, au fin
fond de l’Alsace. L’école ménagère
locale a pour mission de former les
jeunes filles à devenir des femmes
au foyer exemplaires. Cuisiner, faire
le ménage, la lessive, repriser les
chemises et se plier au devoir conjugal
sans fléchir, c’est ce qu’enseigne
Navec fermeté Paulette Van der Beck
(Juliette Binoche), la directrice de l’institution, secondée par
sa belle-soeur Gilberte, interprétée par Yolande Moreau, ainsi
que soeur Marie-Thérèse (Noémie Lvovsky). Mais à la veille de
la révolution sexuelle, les principes de l’époque commencent à
vaciller. Et si la bonne épouse devenait enfin une femme libre ?
Comment avez-vous vécu mai 68, vous qui n’aviez que 13 ans à
Bonjour Yolande Moreau ! « La Bonne Épouse » raconte l’époque ?
l’intérieur d’une école ménagère peu avant la révolution de mai C’est un temps de changements et de libération que j’ai
68, et plus généralement, le film traite de l’Histoire des femmes. vécu de plein fouet. Je crois avoir vécu les événements
C’est un sujet qui vous tenait à cœur ? sans les comprendre, mais disons que j’ai senti venir le vent
Je crois qu’avant tout, j’étais ravie de retravailler avec le de la révolution. D’ailleurs, après 68, j’ai tout de suite vécu
réalisateur Martin Provost pour la troisième fois (après « en communauté et puis j’ai été maman très jeune. C’était
Séraphine » en 2008) et « Où va la nuit » en 2011). J’aimais finalement une époque assez joyeuse, pleine de promesses.
beaucoup le sujet et je le trouvais traité de manière originale
par Martin. Il a osé aller dans la légèreté et la comédie pour une Et quand vous repensez à votre mère à cette époque, à quoi
thématique aussi historique que celle-ci. ressemblait son quotidien ?
Elle était femme au foyer et était elle-même très angoissée par
Effectivement, c’est un film qui raconte les femmes et pourtant, son statut de femme et par son devenir. Elle se posait beaucoup
c’est un homme qui le porte à l’écran… Vous pensez que Martin de questions. Comme on était quatre enfants, elle redoutait que
Provost a cerné les femmes ? notre père disparaisse ou qu’il quitte la maison. Heureusement,
Oui, il les comprend très bien. Tous ces films tournent autour de cela n’est pas arrivé, mais elle avait pris des cours de dactylo et
la gente féminine. Il aime en parler. d’anglais. Et puis elle rêvait pour nous qu’on réussisse à l’école,
qu’on trouve du travail.
Vous interpréter le rôle de Gilberte, la sœur du directeur de Et aussi qu’on fasse du tennis, mais ça, elle n’a pas réussi ! (rires)
l’institution, qui va devenir très complice avec sa belle-sœur,
incarnée par Juliette Binoche. Cette dernière va se retrouver à la À vous entendre, on peut dire les temps ont bien changés en
tête de l’école. Comment définiriez-vous votre personnage ? cinq ans…
Gilberte est une femme-enfant. Elle est restée bloquée dans Oh oui ! Quand je compare ma mère à ma fille et mes petits-
l’adolescence. On l’observe d’ailleurs par son physique et sa enfants aujourd’hui, c’est clair qu’il y a eu une importante
coupe de cheveux (longue chevelure lisse et blonde). Mais elle évolution. Mais dans beaucoup de milieux, comme le milieu
va évoluer au cours de l’histoire, notamment grâce à ces jeunes culturel notamment, les femmes ont toujours plus mal à
femmes à qui l’on apprend à être de bonnes épouses, mais qui s’imposer que les hommes. Ça, c’est certain.
ont un autre regard sur la question. Gilberte est un personnage
que j’aime bien, elle me touche. Et puis elle doit me ressembler
un petit peu. Même si finalement, on ressemble toujours un peu
aux personnages que l’on incarne.
On cherche toujours les accointances.
12 DAILY MOVIES • #107• ÉTÉ 2020