Page 42 - Afrique Foncier juillet 2020
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Bénin
la coutume et la pratique. Il ne faut surtout pas Nous savons déjà que vous avez droit à la terre ». Je
en avoir peur. L’essentiel, c’est de travailler avec ne leur réponds encore. Même si c’est théorique,
des personnes ressources, de vrais acteurs du ils ne peuvent plus dire qu’ils n’en ont jamais
changement, qui sont effectivement écoutés et qui entendu parler. Donc, la poursuite des activités de
peuvent appuyer sur l’accélérateur du changement la Konrad-Adenauer-Stiftung est nécessaire pour
et se donner le temps de se faire comprendre. le changement de comportement. Il faut impliquer
Il faut également faire comprendre aux chefs les acteurs clés, les décideurs, les coutumiers et les
traditionnels et coutumiers que les enfants filles Osc qui participent aux sensibilisations.
ont aussi le droit d’hériter les terres familiales.
On ne peut pas s’arrêter en si bon chemin, car
Avant les femmes ne participaient qu’à la récolte ; l’impact des actions sont visibles sur les femmes.
mais aujourd’hui, elles sont présentes à toutes les Avant les femmes ne pensent pas aux réalisations
étapes de l’agriculture. Elles ont non seulement durables ; elles investissaient dans les pagnes,
leurs propres champs, mais aussi des greniers. bijoux et autres dépenses du foyer. Il y a une vieille
Avant, on n’exigeait pas des femmes de cotiser paysanne dans mon village qui a acheté une terre
pour les obsèques ; dès que ton père est mort, récemment, elle y a construit une maison (clôture,
ton mari t’apporte l’aide nécessaire pour faire les chambre, puits, etc) et la mise en location. Les
obsèques. Mais aujourd’hui, on exige de chaque hommes sont en train de comprendre que les
fille une cotisation importante. En allant plus loin, femmes se réveillent. C’est un éveil de conscience.
avant quand l’homme veut construire sa maison, La femme qui a un titre de propriété grâce à l’achat,
la femme est là pour préparer à manger. Mais inspire confiance et respectabilité de la part de son
aujourd’hui, les hommes exigent que la femme mari.
contribue financièrement. La femme paye le ciment
et les feuilles de tôles. Les choses ont évolué au Comment comptez-vous faire la capitali-
point où il est nécessaire d’ouvrir les yeux pour ne
pas faire le faux-fuyant. sation des acquis sur le terrain avec votre
Ong et votre réseau Rifonga ?
Au regard de ce changement de compor- Sans rédiger un projet sur le foncier, à chaque
fois que j’interviens sur les droits de l’homme,
tement dans la société, pensez-vous que de la femme, de l’enfant, la citoyenneté dans le
les sensibilisations de la KAS a pu réelle- développement local, j’abord le droit de propriété
ment changer quelque chose? Y a-t-il des et le droit d’accès des femmes à la terre.
femmes qui après revendication de leur
droit ont obtenu des terres ? J’ai aussi commencé par inculquer ces valeurs à
Oui, il y en a. Récemment, une femme âgée a décidé la jeunesse. Une lutte qui commence au niveau
que ses frères attribuent une portion des terres de liminaire a plus de chance d’être facile. Le défi sera
son feu père à son fils. Les frères s’y opposent et plus facile à relever si nous trouvons les moyens
l’affaire est portée au tribunal d’Abomey. Le juge pour éveiller la conscience de la jeunesse et même
a tranché et lui a donné gain de cause. Elle a les de l’enfance sur les droits fonciers des femmes. Il
mêmes droits d’héritage que ses frères et sa part faut aussi que les hommes comprennent l’enjeu
est revenu à son fils. Les gens ont témoigné qu’elle et l’appliquent. Quand la femme a l’accès à la terre,
était même le pilier de sa famille paternelle et l’intérêt, c’est pour elle-même, ses enfants et son
qu’elle aidait ses frères. époux. Nous avons besoin des hommes intelligents
pour appuyer les femmes.
Depuis, cette affaire fait des émules au sein des
familles. Quand je rentre dans ma famille paternelle,
mes frères commencent par s’agiter et disent : « Propos recueillis par : Aline ASSANKPON
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