Page 8 - Programme du concert de Jean-Claude Pennetier au Théâtre des Champs-Elysées
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Effarouché par sa longueur, le premier éditeur préféra nommer l’œuvre, composée en octobre 1826, « Fantaisie, Andante, Menuetto et Allegret- to » ; mais il s’agit bien d’une sonate, et même, selon Schumann, de « la plus parfaite, quant à l’esprit et à la forme ». À cause de cette dénomina- tion, cependant, on rapprocha cette composition de la Sonate « quasi une fantasia » de Beethoven, plus connue sous le nom de « Clair de lune ». Il est vrai qu’au statisme de cette œuvre (et l’on pourrait aussi évoquer le début du 4e Concerto du même Beethoven) correspond la vibration à peine variée issue de la répétition d’une résonance : si la mélodie en émane peu à peu, le statisme se retrouve dans les notes répétées du chant, les broderies autour d’une seule note comme si tout ne surgissait que de la résonance de l’accord de sol majeur – et menaçait perpétuellement de s’y réduire. La même facture, autour de notes répétées, caractérise les thèmes du Menuet et du Rondo final, qui les fait entendre une dernière fois avant de s’évanouir dans la mutité de l’accord initial.
Car ce qui distingue néanmoins Schubert de Beethoven, et qui marque la différence des générations, c’est, comme l’a relevé Charles Rosen, que « nombre de ses mélodies caractéristiques n’ont plus d’impulsion in- térieure, c’est l’espace qu’elles ont elles-mêmes défini qui les modèle ». En sorte que le motif, issu du gouffre, au lieu de s’incarner peu à peu dans ses développements, semble chercher à reculer l’instant de sa dissolution, tantôt par la danse, tantôt par le chant, quand il n’est pas comme cloué au sol par des blocs d’accords tragiques qui se dressent autour de lui comme des rocs ou des bois autour d’un voyageur. Descendant des hautes soli- tudes, la Sonate se peuple peu à peu de danses villageoises, qui ne par- viennent jamais à faire oublier l’atmosphère raréfiée du premier mouve- ment. « Pour le dernier mouvement, écrivait encore Schumann, ne vous mêlez pas de le jouer si votre inspiration est incapable d’en résoudre les énigmes ». On ne saurait en effet expliquer comment Schubert colore sou- dain d’épouvante de gentilles danses villageoises, par de brusques change- ments de plans, comme si un nuage noir enveloppait sournoisement la fête humaine.
Ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm, Ariel Suhamy est philosophe et écrivain. Il est notamment l’auteur de plusieurs ouvrages sur Spinoza.
Ariel SUHAMY































































































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