Page 4 - Shakespeare et la musique - Lundi 4 juin 2018 au Théâtre des Champs-Elysées
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Shakespeare et la musique
La musique joue un rôle de premier plan dans le théâtre de Shakespeare : elle préside aux métamorphoses magiques et aux transfigurations morales, à l’apaisement des conflits, à l’apprivoisement des fureurs humaines1. Shakespeare a d’ailleurs collaboré avec les compositeurs les plus prestigi- eux de son temps, tels que William Byrd ou Thomas Morley ; cependant, si son œuvre a exercé une influence immense sur l’histoire de la musique, elle a eu généralement besoin, pour être transposée sur la scène musicale, d’une adaptation, sinon d’une réduction : comment en serait-il autre- ment ? Tout se passe comme si la poésie shakespearienne étant déjà la musique même, il était vain d’y coller des notes. Or, il n’a pas fallu attendre Berlioz ou Verdi pour voir la pièce originale ramenée à de plus modestes dimensions et considérablement simplifiée pour permettre au composi- teur de déployer sa mesure propre.
Ainsi, lorsque Purcell mit en musique le célèbre If music be the food of love, qui ouvre La Nuit des rois, il préfère au texte original, ondulant et capricieux, la paraphrase assez plate d’un certain Henry Heveningham, et cela donne une merveilleuse mélodie. Le même Henry Purcell confia à John Dryden le soin d’adapter Le Songe d’une nuit d’été pour The Fairy Queen. Dryden n’hésita pas non plus à modifier l’ultime chef d’œuvre du barde, La Tempête, dont la musique, attribuée à Purcell, est aujourd’hui attribuée à son élève John Weldon (1676-1736) : il simplifia la langue et la grammaire et même ajouta des personnages (ainsi Ariel se voit affublé d’une petite amie éthérée, et même Caliban !).
Le programme de ce soir, qui associe récitation théâtrale et musique, emprunte principalement au « semi-opéra » qui naquit sous la restaura- tion de Charles II et qui associait le théâtre, la musique et la danse. John Dryden, qui fut l’un des fers de lance de cette renaissance, définit le genre en ces termes : « Une tragédie mixée avec un opéra ou un drame écrit en vers blancs, orné de scènes, machines, chansons et danses : de sorte que la fable est entièrement parlée et jouée par les meilleurs comédiens ; l’autre partie de la réjouissance devant être représentée par les chanteurs et dan- seurs. On ne peut pas parler de pièce parce que l’action est supposée être dirigée par des esprits surnaturels ou magiques, non plus d’opéra parce que l’histoire n’est pas chantée ».
On comprend pourquoi c’est principalement dans le merveilleux shakes- pearien que puise le « semi-opéra » : Le Songe d’une nuit d’été, La tempête... Dès 1683, cependant, apparaît en Angleterre le premier opéra
 1 Voir à ce sujet Michael Edwards, « Les chansons de Shakespeare », Études, 2011 (en ligne sur Cairn).





























































































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