Page 266 - Bonhams Cornette Saint Cyr, Property from the estate of Jean-Pierre Rousset (1936-2021)
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Réalisé à l’image d’une montagne miniature et décoré d’hommes   Les montagnes étaient considérées avec un grand respect, en
           armés de lances chassant des animaux fabuleux, ce vas tripode était à  Chine, en tant qu’éléments primordiaux de l’univers, en raison de
           l’origine entièrement doré et donc particulièrement précieux. Bien que   leur capacité à produire de l’eau, l’élément donnant la vie, depuis
           sa forme soit probablement inspirée des récipients rituels à alcool de   les nuages tourbillonnant autour d’elles. Elles étaient associées
           type zun, produits durant l’époque des Royaumes Combattants (475   au désir profond de rencontrer les immortels habitants ces hautes
           – 221 av. J.-C.), ce récipient a aussi pu servir de boîte à cosmétiques   cimes naturelles qui offraient le lien la plus proche avec le Ciel.
           ou, dans un contexte rituel, faire office de support visuel pour aider   Depuis au moins l’époque de l’empereur Wudi (r. 141-87 av. J.-
           l’occupant de la tombe à imaginer l’île mythique des immortels   C.), les montagnes des Îles des Immortels dans la Mer de l’Est
           Penglai, dans l’espoir d’atteindre l’au-delà.     pouvaient, pensait-on, être atteintes de deux façons : soit durant
                                                             la vie terrestre, par l’ingestion de potions magiques, soit après la
           Selon le Classique des Montagnes et des Mers, Shanhai Jing,   mort, par la préservation du corps et de l’âme dans la tombe. Voir
           sans doute compilé au IVe siècle av. J.-C., Penglai était une des   J. Rawson, Mysteries of Ancient China : New Discoveries From the
           îles des Immortels situées dans la mer orientale de Bohai, îles qui   Early Dynasties, London, 1996, pp.172-173 ; voir aussi S. Erickson, «
           disparaissaient une fois aperçues par les voyageurs espérant y   Boshanlu : Mountain Censer of the Western Han Period : a Typological
           parvenir dans leur quête de l’élixir d’immortalité. Ces îles étaient   and Iconographical Analysis », dans Archives in Asian Art, 1992,
           formées de hautes montagnes parsemées de grottes où vivaient,   vol.45, pp.6-28.
           pensait-on, les Immortels.
                                                             Les animaux peuplant la montagne légendaire représentés sur ce
           Basé sur l’idée taoïste d’une île formant un pic montagneux, le   bronze ont probablement été inspirés des créatures fantastiques
           paysage miniature présenté sur ce récipient pourrait avoir représenté   habitant les royaumes merveilleux décrits dans le Shanhai Jing,
           le voyage du défunt à travers un paysage sinueux plein d’obstacles,   le Huainanzi (compilé avant 139 av. J.-C.).) et le Zhuangzi (Maître
           à la recherche de l’élixir d’immortalité. « (...) Après avoir dépassé les   Zhuang) de la fin des Royaumes Combattants (476-221 av. J.-C.). Ces
           montagnes sacrées, on obtiendra des pouvoirs magiques, contrôlant   animaux auraient aussi pu être inspirés de ceux associés aux chasses
           le vent et la pluie, et on accèdera finalement au Ciel, « la Demeure   impériales et mis en scène avec soin dans les parcs royaux durant la
           de l’Empereur Céleste » dit le Huainanzi (Le Maître de Huainan) au   dynastie Han. Les empereurs Han avaient une passion sans précédent
           IIe siècle av. J.-C. Voir A. G. Wenley, «The Question of the Po-Shan-  pour la construction de parcs immenses et magnifiques où était mise
           Hsiang-Lu », dans Archives of the Chinese Art Society of America,   en scène la conquête symbolique du monde naturel par l’organisation
           n°3, 1948, pp.5-12.                               de chasses rituelles et de combats d’animaux. Voir E. Schafer, «
                                                             Hunting Parks and animal Enclosures in Ancient China », dans Journal
                                                             of the Economic and Social History of the Orient, 1968, vol.11, n°3,
                                                             pp.318-343.
                                                             Les motifs de masques taotie décorant les anses en anneaux et
                                                             les trois ours formant les pieds visaient probablement à protéger le
                                                             défunt contre les esprits néfastes qu’ils pourraient rencontrer dans
                                                             l’au-delà. Bien que la signification du motif de taotie soit encore un
                                                             vaste sujet de recherches universitaires, il est décrit dans les Annales
                                                             des Printemps et Automnes comme un monstre sans corps dévorant
                                                             les tribus hostiles. De la même façon, le Classique des Montagnes
                                                             et des Mers loue la bravoure de l’ours et désigne l’animal comme le
                                                             gardien de la porte menant aux montagnes légendaires évoquées par
                                                             les taoïstes. Voir D. Jenkins (et al.), Mysterious Spirits, Strange Beasts,
                                                             Earthly Delights : Early Chinese Art from the Arlene and Harold Schitzer
                                                             Collection, Portland, 2005, pp. 34-35.
                                                             Voir un lian couvert ajouré et doré très comparable, dynastie Han, au
                                                             Cleveland Museum of Art (Leonard C. Hanna, Jr. Fund 1972.44) ; et
                                                             voir un exemple comparable en bronze argenté et doré, dynastie Han,
                                                             au Minneapolis Institute of Art (acc.no.50.46.49a, b).
                                                             Un lian couvert comparable, sans dorure ni décor, dynastie Han,
                                                             avec des pieds en forme de tigre et des béliers en ronde-bosse sur le
                                                             couvercle, a été vendu chez Sotheby’s New York, le 22 mars 2011,
                                                             lot 195.














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