Page 51 - TU Juin 2020

MIGRÉS MIGRANTS

Passage
Aller vers ailleurs. Partir au-delà. Quitter l’immobile pour accéder au trajet.
Pour ce, avancer de pas en pas dans la direction de.
Se souvenir que la boue enlise. Que le sable ramollit la démarche. Que la pente essouffle.
Que le vent fulmine. Que la pluie détrempe.
Surtout apprendre à se heurter à la barrière placée par le voisinage et qui ne permet que cer-
tains chemins balisés à outrance ou abandonnés aux dangers de toutes espèces.
Obstacle

Encore un pas et c’est le barbelé. La déchirure des peaux. L’oripeau accroché au métal et à
sa rouille. Lambeau d’un drapeau de territoire intérieur. Le même fildeferraille qui encerclait
le camp.
Se heurter à ses propres cicatrices. Avoir le désespoir de la cisaille absente.
Pas le temps d’être prudent si nous voulons l’autre rive. La précipitation met le corps en po-
tentiel état de papillon épinglé pour la collection du chasseur.

Mur
En rien de belles briques pour façade habitée. Plutôt de bruts blocs bétonnés. Du ciment
d’ébréchure. Une architecture de contrainte grise.
Les lampes rendent crue la lumière qui fouille la nuit jusqu’à l’aube. Elle s’accroche de temps
en temps à des traces de sang, des impacts de balles.
Au-dessus, aménagé en pourtour de promenade, veillent les gardes. Silhouettes casquées
dont l’ombre se prolonge en sexe de mitraillette. Pas question qu’un quelconque accroche
ici le moindre géranium.
Quant à la porte, elle est à chercher. Pas facile à déceler. Sa forme, il est vrai, est celle d’une
liasse de papiers estampillés au sigle de l’administration centrale située si loin d’ici.

extraits de Michel Voiturier, Perfidies de la frontière in Dits en plain désert,
Dieppe, éd. Clarisse, 2009 (Prix Poés’Yvelines)

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LE TRAIT D’UNION - 2 TRIMESTRE 2020 | 51