Page 49 - Ihedate - l'annuel 2016 (N°2)
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L’aménagement du territoire peut-il être démocratique ?
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leur base sociale. Pour gagner « la guerre des deux France », Gambetta crée en 1881 le ministère de l’Agriculture, avec l’idée d’en faire un outil politique de rallie- ment. Ce ministère a en charge les territoires, mais aussi la formation, la santé, la protection sociale, les échanges économiques et les marchés. Par son existence et son action, il distingue la population paysanne de la population ouvrière et de ses turbulences. Trois valeurs fondent cette alliance de la République et des paysans : patri- moine, patriarcat et patriotisme.
Un dispositif d’encadrement idéolo- gique, économique et social se met en place à travers une multitude d’institutions. Le Crédit agricole, les coopératives agricoles, le mutualisme agricole ou encore le syndicalisme agricole voient le jour à une époque où 50% de la population active est composée de paysans.
Les paysans, socle de la patrie
Les paysans se trouvent ainsi à l’épicentre de la guerre des deux France : propriété exclusive de l’Église et socle de la République. Pourtant, dès les années 1930, la naissance des mouvements d’action catholique et de la jeunesse agricole catholique (JAC) amorce une réconciliation entre la République et l’Église. Les mouvements d’action catholique (JOC, JEC et surtout JAC) prennent en compte les individus à travers leur appartenance sociale et professionnelle (ouvrier, étudiants, agriculteurs) et plus seulement comme un « troupeau » contrôlé par le découpage paroissial. Ces mouvements développent dans les campagnes une éducation
Les agriculteurs appartiennent aujourd’hui à une minorité parmi d’autres
populaire ambitieuse. On fait lire aux paysans Simone Weil ou Pierre Teilhard de Chardin. Une révolution culturelle s’opère, accompagnée d’une mutation majeure dans la société paysanne. Les jeunes, saisis d’un appétit intellectuel nouveau, réclament davantage d’autonomie. Et au lendemain de la seconde guerre mondiale, conscients de la nécessité de moderniser les campagnes, ils forment des cercles de jeunes agriculteurs. En 1951, ces cercles débouchent sur la création au sein de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) d’un syndicat destiné aux agriculteurs de moins de 35 ans.
Si les jeunes agriculteurs sont conscients qu’ils doivent agran- dir leurs exploitations pour se développer, il n’est pas seulement question de modernisation et de mécanisation. Leurs revendica- tions portent aussi sur la vie au quotidien. Ils imposent la décoha- bitation des générations et veulent échapper à la pression familiale qui s’exprime notamment dans
les stratégies matrimoniales. Le mouvement de modernisation se veut total : économique, cultu- rel et social. Il s’incarne dans le modèle d’exploitation structuré autour du couple autonome. Le gouvernement soutient ce proces- sus d’émancipation par deux dispo- sitifs emblématiques : l’indemnité viagère de départ permettant le départ des plus anciens et la dotation jeune agriculteur facilitant la reprise de l’exploitation.
Un moment de grâce
A l’avènement de la Ve République en 1958, les jeunes agriculteurs deviennent les interlocuteurs privilégiés du Premier Ministre, Michel Debré, qui souhaite en finir avec l’archaïsme agricole. Charles de Gaulle, qui entretient pourtant depuis la guerre des relations glaciales avec les agriculteurs, déclare alors : «Un pays qui ne peut pas se nourrir ne saurait être un grand pays ». Les relations entre le monde agricole et le nouveau pouvoir se développent dans un état de grâce. Deux lois décisives (1960 et 1962) instaurent un cadre qui, jusqu’à très récemment, a régi la politique agricole française et, très largement, celle de l’Europe.
Cette politique repose sur la garantie des prix, mais surtout sur un régime de cogestion impliquant étroitement la profession et ses organisations, mis en scène par des rencontres mensuelles entre le ministre de l’Agriculture et les institutions professionnelles, et par une grande conférence annuelle sous la présidence du Premier Ministre. En mai 1968, la FNSEA est la seule organisation syndicale reçue par le Président de la République. Pendant 30 ans, aucune décision importante
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