Page 12 - IHEDATE - L'annuel 2017
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Le monde n’est pas invariant par changement d’échelle
L’activisme technique moderne n’est pas seulement dû à la puissance des moyens techniques que la nouvelle science a permis d’élaborer. Il est également lié à la neutralisation morale du monde : à partir du moment où le monde est appréhendé de part en part sur un mode mathématique, sans lien avec le bien et le mal (surtout sans lien avec le bien), agir comme il convient ne signi e plus s’insérer aussi convenablement que possible dans un monde bien ordonné, mais transformer le monde a n de rendre celui-ci plus accueillant aux êtres humains. Dans ce contexte, le développement technique n’a plus de limitation morale. Diderot, dans son Encyclopédie, écrit : « L’homme est le terme unique d’où il faut partir et auquel il faut tout ramener. [...] Abstraction faite de mon existence et du bonheur de mes semblables, que m’importe le reste de la nature ?» De fait, si la nature n’est rien d’autre que de la matière et des forces, rien en elle ne mérite le respect, et il revient aux êtres humains d’en disposer à leur guise, de la transformer selon leurs désirs.
De l’Antiquité à nos jours, l’action humaine sur le milieu n’a pas seulement changé d’échelle, elle a changé de sens (et c’est ce changement de sens qui a autorisé un changement d’échelle). Pour les Anciens, il s’agissait de s’insérer convenablement dans un ordre général qui existait déjà, en prolon- geant les œuvres de la nature. Les Modernes, en revanche, ont l’ambition d’imprimer un ordre humain à la matière, de s’imposer à la nature.
En matière d’aménagement, tout devient permis, et les interven- tions les plus massives deviennent même les plus recommandables.
À ce constat, il faut apporter quelques amendements. Galilée, personnage particulièrement emblématique du passage de la science aristotélicienne à la science moderne, et à ce titre l’un des dynamiteurs de l’ancienne mentalité cosmique, a souligné dans sa dernière œuvre, Discours concernant deux sciences nouvelles (1638), l’importance déterminante des questions d’échelle. Le livre s’ouvre sur une visite des arsenaux de Venise, où se trouve un bateau en attente de lancement. Celui-ci est encadré par un appareil de soutènement bien plus considé- rable, en proportion, que celui qui entoure les navires plus petits. Un vieil homme explique que si l’on ne procédait pas ainsi, l’échafaudage s’effondrerait. Un personnage « éclairé » critique ce propos, qu’il attribue à un esprit arriéré : «Les démonstrations mécaniques ont leur fondement dans la géométrie où ni la grandeur ni la petitesse ne confèrent aux cercles, aux triangles, aux cylindres, aux cônes et à tout autre  gure solide, tantôt certaines propriétés et tantôt certaines autres ».
Dès lors, ce qui est viable à une certaine échelle doit l’être à n’importe quelle autre. Mais Galilée, tout en reconnaissant que le jugement populaire s’égare souvent, fait remarquer qu’on peut mathématiquement prouver l’importance déterminante de l’échelle.
GALILÉE, MATHÉMATICIEN, GÉOMÈTRE, PHYSICIEN ET ASTRONOME ITALIEN
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