Page 62 - IHEDATE - L'annuel 2017
P. 62

Où se situe l’Europe des peuples
dans tout cela ?
Selon moi, l’Europe des peuples n’existe pas. Elle existera peut-être un jour, mais je ne la verrai pas de mon vivant. L’Europe fonctionne parce que les États le veulent bien. Quand un Etat n’en veut plus, il peut en sortir. On l’a vu avec le Brexit.
Il faut rappeler que l’Union européenne existe parce qu’après 1945, les États étaient épuisés et qu’ils ont vu l’Europe comme une possibilité de garantir la paix. Mais si on avait fait un referendum en 1950, cinq ans après la guerre, je ne pense pas que les Français auraient été favorables à une réconciliation franco-allemande. Il faut donc assumer que l’Europe s’est faite dans le dos des peuples, qu’elle n’est pas née d’une volonté populaire. Mais c’est une bonne chose. Ca signi e qu’il y a eu des dirigeants capables de voir un peu plus loin que les passions populaires du moment. Certes, sa fondation n’a pas été démocratique. Mais en même temps, l’Europe, c’est le respect des diversités et la volonté de travailler ensemble. Le problème, c’est que les dirigeants actuels ne revendiquent pas cet héritage.
Dans les faits, les États sont toujours aux commandes et ils sont à la réception. Entre les deux, il y a une « boîte » communautaire permet- tant de régler des con its qui se réglaient dans le passé par les armes. Aujourd’hui, le recours, c’est la norme juridique, la cour de justice européenne. Ca peut paraître très ennuyeux de l’extérieur, mais je dis toujours qu’il vaut mieux s’ennuyer que d’être dans une tranchée.
L’Union est-elle allée trop loin ?
Nous avons des institutions pour négocier, avec le Conseil européen au sommet. Or le Conseil européen, c’est une assemblée de 28 chefs d’État et de gouvernement qui se réunit à huis-clos et qui prend des décisions à l’unanimité. Quand j’entends certains d’entre eux rentrer dans leur pays après un Conseil européen et expliquer qu’ils se sont battus comme des lions mais qu’ils ont dû succomber face aux assauts des autres pays, c’est faux. Mais ça les sert beaucoup de dire que c’est de la faute de Bruxelles. C’est ainsi que certains chefs d’État ou de gouvernement justi ent qu’ils doivent réformer dans leur pays à cause de Bruxelles. Pour ne pas endosser leurs responsabilités. Cette «boîte» communautaire, d’une certaine manière, les déresponsabilise. Et hélas, ce récit est souvent cru par une partie des citoyens européens. Sans parler des médias qui ne font que l’ampli er. Quand je regarde la télévision, je me demande de quoi ils parlent. Manifestement, ils n’ont pas compris comment fonctionnent les institutions européennes. Si la France ou l’Allemagne s’opposent à une décision, elle ne se fera pas. Tout le reste n’est qu’apparence. Même le Parlement européen n’est qu’apparence puisqu’il est composé de 28 «petits parlements nationaux» qui siègent côte à côte mais qui représentent leurs États respectifs.
Finalement, on partage très peu de choses. Les États ne veulent pas d’un État fédéral avec des institutions fédérales. On le voit par exemple au niveau de la justice. Aujourd’hui, à l’heure où les terroristes se moquent des frontières,
62


































































































   60   61   62   63   64