Page 74 - AQMAT_Magazine_Printemps_2022
P. 74

Gestion
 Extrait exclusif du dernier essai
de Jacques Nantel
sur les consommateurs, les commerces et l’après-pandémie
Durant la pandémie, plusieurs n’ont cessé de répéter que « plus rien n’allait être comme avant ». Si le retour à la normale semble leur donner tort à bien des égards, la formule s’avère néanmoins véridique quant à notre consommation :
flambée du prix des aliments, marché résidentiel fracassant des records,
pénurie de main d’œuvre... les exemples sont nombreux et parfois inquiétants.
«
la restauration ou l’hôtellerie, des domaines plus névralgiques tels que les activités portuaires, manufacturières ou de camionnage, ou encore ceux essentiels tels que les soins de santé, cette pénurie de main-d’œuvre fait mal à l’ensemble de l’économie mondiale. Pour tenter d’y remédier, on voit désormais les salaires soudainement augmenter. Au Québec, les primes de recrutement annoncées en catastrophe aux infirmières que l’on tente désespérément de ramener dans le réseau de la santé (...) sont des exemples éloquents. Même chose du côté du commerce de détail, pourtant malmené, où un géant tel que Walmart a fait passer son salaire horaire de base, aux États-Unis, de 11$ à 15$. L’année 2021 marque un tournant important. La course aux employés est bel et bien lancée et elle va entraîner de profondes conséquences sur l’économie et la société.
 S’il y avait bien un endroit où la pandémie se montrait par- ticulièrement paradoxale, c’était dans le monde du travail. Que ce soit dans des domaines encore au ralenti tels que
La première de ces conséquences est l’accélération de l’inflation. Si le prix du bois ou de la farine peuvent éventuellement baisser par le simple fait d’abattre plus d’arbres ou de planter davantage de blé, ils ne baisseront pas autant si l’on a consenti à augmenter les salaires des bûcherons, des employés des quincailleries ou des meuniers. Un 2 X 4 ne s’offusque pas si l’on fait passer son prix de 10$ à 2$, pas plus qu’un sac de farine dont on abaisserait le prix de 20%. En revanche, il en va bien autrement des salariés, et pour cause. C’est ce que l’on nomme en économie «l’effet de cliquet» (ratchet effect). Une fois une augmentation de salaire consentie, on ne saurait la reprendre, même si, en principe, elle était temporaire.
La seconde conséquence de cette compétition dans le recrutement de la main-d’œuvre est qu’elle risque de favoriser la concentration de l’offre de produits et de services au sein d’un nombre moindre d’entreprises et d’organisations. Lorsque Walmart fait passer son salaire de base de 11$ à 15$, le geste n’est pas entièrement altruiste, pas plus qu’il ne s’explique par le simple impératif de s’assurer que l’entreprise ait suffisamment d’employés dans ses magasins et dans ses entrepôts. C’est aussi une attaque sur la concurrence. En augmentant son salaire de base de 36%, une entreprise comme Walmart sait qu’elle pourra recruter la main-d’œuvre de ses concurrents, notamment chez les plus petits. Le geste n’est pas banal puisque beaucoup de ces petits joueurs, surtout dans une économie instable, ne pourront survivre. Une pénurie de main-d’œuvre, comme toute autre forme de pénurie d’ailleurs, accroit généralement la concentration de la concurrence.»
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