Page 2 - Madame K. (Nouvelle SCI)

L’Extraordinaire Épopée de Mme K.
projetons sur les murs de la Ville. Et pourtant, nous le savons mieux que personne, il n’en est rien. Ils nous haïssaient, nous, les femelles, comme ils disaient. Ils nous détestaient, car nous prenions un trop grand pouvoir sur la planète et sur eux-mêmes. La loi de la Cité devenait nôtre. Dura lex sed lex. Et nous l’avons obtenue, cette dure Loi de vivre, avec détermination et opiniâtreté. Et qu’en est-il du résultat aujourd’hui, je vous le demande ? Pour certaines d’entre nous, malheureusement, tout est à refaire. Dans le cerveau de certaines femmes, la persistance de la mémoire antérieure demeure. Rien n’est jamais gagné d’avance et ça me rend malade, toute cette révolution pour rien... »
La shampouineuse s’acharne à démêler la longue tignasse blonde de l’érudite. Mme K. est une cliente fidèle, le genre à assiéger l’espace avec aplomb et à donner son avis haut et fort, le genre à froisser l’atmosphère pour mieux la repasser ensuite à sa manière. La shampouineuse a un air vulgaire, un rien aguicheur. Ses paupières couleur pimprenelle, ses lèvres pailletées d’or, ses ongles laqués de sang, son piercing argenté au creux du nombril, tout brille, sauf son esprit.
- Voyons, Mme K., faut pas dire des choses pareilles. On a la paix maintenant qu’ils ont débarrassé la terre d’leurs pas d’lourdauds. Bah, faut pas vous en faire, vous prenez tout ça trop à cœur. Moi, par exemple, voyez, je trouve ça très bien ces séparations, euh, comment dire, obligées, imposées un peu, c’est vrai quoi, pouvez pas nier ! Maintenant, je suis presque moi-même. Plus besoin de jouer les pin-up. Je suis comme libérée, et une femme libre est une femme heureuse, vous pouvez m’croire !