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La Tribune des travailleurs - No264 - Jeudi 12 novembre 2020
 TRIBUNES LIBRES
Grand-Couronne (Seine-Maritime)
La fermeture de la papeterie Chapelle-Darblay frappe près de 1 000 salariés
Une contribution de Simon Piveteau et Clément Legendre
Lors de la réunion-débat organisée par la CGT, le 16 octobre
Dijon (Côte-d’Or)
La métropole face à la pauvreté
La parole à Daniel Mangione, militant de LFI, président de l’association des clients et usagers du Crédit municipal de Dijon
Nous avons lutté ensemble, lors des municipales à Dijon, sur une liste d’unité, contre la politique sociale de M. Rebsamen, maire et président de la métropole. Le conseil
métropolitain se félicite de la politique du logement. Qu’en penses-tu ?
Le maire de Dijon a évoqué le clas- sement de Dijon parmi les dix premières villes « où il fait bon vivre », alors que 6 000 familles mal logées sont en attente d’un logement décent ! Il se félicite du faible nombre de logements vacants alors que 7 000 logements sont vacants dans la métropole, selon les experts. Le taux de logements sociaux sur le Grand Dijon est inférieur à la norme légale (18 % au lieu de 25 %).
L’association que tu présides pour- suit une action pour la restitution au Crédit municipal des 45 millions d’euros prélevés par la Ville de Dijon sur le capi- tal social. Où en êtes-vous ?
Le Crédit municipal a vocation à aider des personnes qui sont dans le besoin. Dijon compte environ 20 000 personnes qui sont en dessous du seuil de pauvreté. Nous luttons pour la restitution des 45 mil- lions ponctionnés par la mairie de Dijon. Le refus persistant du maire de fournir les documents permettant de vérifier la léga- lité de cette ponction et l’usage des fonds vient de faire l’objet d’une décision du tribunal administratif. Le tribunal exige la production des documents dans un délai de deux mois. En fait, l’utilisation de ces fonds au profit de la population permet- trait, par exemple, de créer une maison de retraite, des centres d’hébergement pour les sans-abri et les réfugiés, un dispensaire médical et des logements sociaux.
La politique de la métropole peut-elle affecter la politique sociale des vingt- trois autres communes ?
C’est déjà le cas et ça va s’accentuer, puisque la loi dite NOTRe prévoit le trans- fert aux métropoles de l’action sociale (les CCAS) et des offices du tourisme. En défendant nos communes contre la poli- tique spoliatrice et opaque de la métro- pole, nous restons fidèles à la Constituante de 1789 qui fait de la commune le pilier de la démocratie, au service des citoyens. n
       L’
LedéputéPCF,HubertWulfranc,formule ses propositions :
« Avec nos élus, nous allons nous mettre autour de la table afin d’entrer en négociation avec UPM pour l’acquisition du site. L’inté- rêt de ce mode opératoire permettrait, en cas de non-aboutissement, de faire valoir un droit d’expropriation, puisque nous sommes confrontés au droit de propriété. On se base sur le plan de relance de la CGT, y compris sur une reconversion des productions. »
C’est à un employé de l’usine que revient lemotdelafin:
« Sauver l’usine, on y croit vraiment. Quand on se syndique à la CGT, on a ces valeurs-là, de la lutte. Comme en 1983, quand les 100 jours de lutte ont permis d’empêcher la fermeture des deux sites de Chapelle- Darblay et Saint-Étienne-du-Rouvray. On est les héritiers de ça, donc on va continuer à se battre. »
Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, n’a pas pris la parole pendant la réu- nion. Si le plan de relance pour l’économie circulaire de 30 milliards a été évoqué, per- sonne n’a proposé la réquisition des 560 mil- liards ni l’expropriation permanente et sans contrepartie de l’usine. n
usine Chapelle-Darblay, dans l’agglomération de Rouen, traitait les déchets papiers de 24 millions d’habitants, produisant le seul papier recyclé à 100 % en France. Malgré un bénéfice de 16 millions d’euros l’année dernière, l’usine
optimistes tant le pouvoir politique semble se désintéresser de nous. »
Une fois la visite finie, tout le monde est convié dans l’immense hall où se trouve l’une des machines produisant le papier journal recyclé.
Un représentant du personnel déclare :
« On s’est battu pour signer un accord de sauvegarde du site empêchant le propriétaire de démanteler l’usine jusqu’en juin 2021. Pour sauver le site, il faut que l’État s’engage dès main- tenant ! On ne peut plus nous opposer qu’un propriétaire fait ce qu’il veut, sinon les journaux que vous avez en main viendront de Chine ou du Brésil, et le papier Français qui était recyclé à 100 %, eh bien, vous ne l’aurez plus ! »
Un représentant CGT du grand port mari- time de Rouen ajoute :
« On est inquiets pour l’outil industriel de la zone portuaire. La raffinerie Pétro+ a déjà fermé en 2015, maintenant Chapelle-Darblay. Tout cela au nom de la rentabilité ! Fermer l’usine est un immense gâchis quand on sait que des mil- lions d’euros d’argent public ont été injectés sur le site. La CGT demande aux représentants de l’État, de la région et aux collectivités territoriales d’unir leurs forces pour provisoirement racheter l’usine. »
est à l’arrêt depuis le mois de juin et les 220 salariés sont en cours de licenciement. Afin d’interpeller les instances politiques, la CGT a organisé le 16 octobre une visite du site de
recyclage, suivie d’une réunion-débat.
Thomas, ouvrier sur le site depuis vingt ans, actuellement en procédure de licenciement :
« J’ai démarré ici en apprentissage, tout de suite après l’école. Mon père était lui aussi un « pap-chap », un papetier de Chapelle-Darblay. Cette fermeture n’impacte pas que moi et mes collègues, elle se fait aussi au détriment des sous-traitants, environ 1 000 personnes sur la zone portuaire. UPM, l’entreprise finlandaise propriétaire du site, ne souhaite pas du tout trouver un repreneur, ça lui ferait concurrence sur le marché du papier recyclé. Au contraire, UPM aimerait vendre les machines et déman- teler le site, exactement ce qu’elle avait fait à la papeterie Docelles, dans les Vosges, en 2014. On aimerait que l’usine soit reprise par une entité publique mais, pour l’instant, on n’est pas très
 Institut médico-éducatif, Paris (19e arrondissement)
 « On se contenterait d’occuper les enfants, on ne leur apprendrait plus rien »
La parole à Éléonore (1), éducatrice spécialisée dans l’institut médico-éducatif (IME) « Agir et vivre l’autisme »
Quelles sont les particularités de ton IME ?
C’est une structure qui a été constituée par une association de parents pour la prise en charge de l’autisme, car il existait trop peu de structures de ce type par rapport aux besoins. Le finance- ment est assuré par le département, les parents n’ont pas à en supporter les coûts. Nous bénéfi- ciions avant du statut d’IME expérimental, ce qui nous permettait d’avoir un suivi très individua- lisé, très intensif : il y avait un éducateur pour un enfant. Les jeunes faisaient des progrès visibles. Or depuis quelque temps, nous avons perdu ce statut, nous sommes revenus au droit commun.
Quelles sont les conséquences concrètes ?
Désormais, les éducateurs qui partent ne sont pas remplacés et le suivi est beaucoup moins personnalisé. Les éducateurs sont aujourd’hui encore en charge du suivi des objectifs qui corres- pondent aux besoins de l’enfant et qui sont défi- nis dans un projet éducatif personnalisé, élaboré
entre les équipes et les familles, comme le prévoit la loi de 2002 (2). Mais il est question de modifier cela et de faire en sorte que les éducateurs ne soient plus que des référents d’atelier. Les ate- liers (par exemple l’atelier « activité manuelle »), jusque-là conçus comme moyens d’atteindre des objectifs précis, seraient alors mis au cœur du dispositif et les objectifs seraient beaucoup plus vagues, moins ciblés. Autrement dit, on se contenterait d’occuper les enfants, on ferait sim- plement de la garderie, on ne leur apprendrait plus rien !
Comment réagissent les éducateurs face à cela ?
Nous sommes tous en colère face à l’évo- lution du suivi, face à la dégradation de notre métier. Notre activité est fondée sur des bases scientifiques : nous employons la méthode ABA (Applied Behaviour Analysis – analyse appliquée du comportement). Nous cherchons quels com-
portements sont problématiques et de quelle manière nous pouvons les modifier, notamment par les activités en atelier. Lorsque nous consta- tons que telle démarche ne fonctionne pas, nous réfléchissons à une autre manière de travailler pour résoudre le problème. En voulant faire de nous des référents d’atelier, on s’attaque au cœur de notre métier ! Moi, j’étais fière de travailler dans cette structure, car chaque enfant, avec ses besoins particuliers, était au centre de notre acti- vité. Mais comme il y a de plus en plus d’enfants à prendre en charge pour moins d’éducateurs, désormais la prise en charge se fait en groupes, selon des activités prédéfinies et coupées des besoins propres de l’enfant, celui-ci étant le pre- mier à pâtir de cette « évolution ».
Comment les éducateurs se mobilisent-ils dans cette situation ?
Le projet de mise en place de références par atelier a fait l’objet d’un sondage auprès des per-
sonnels : on nous a demandé de recenser dans un tableau les points positifs et négatifs de chaque système de référence. Évidemment, les points négatifs étaient très nombreux concernant les références d’ateliers (pour toutes les raisons exposées plus haut), à tel point que nous avons dû étendre la liste sur une seconde feuille !
Plusieurs semaines durant, nous n’avions aucun retour sur ce tableau et pensions que la direction n’en tiendrait finalement pas compte. Mais tout compte fait, notre avis a été entendu et les références sont maintenues... Mais pour combien de temps encore ? Car le projet actuel imposé par l’agence régionale de santé d’accueil- lir soixante jeunes pour un budget de quarante ne nous laissera plus le « luxe » de travailler de cette manière encore bien longtemps. n
(1) Le prénom a été modifié.
(2) Loi 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale.
 















































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